Par le sang versé
Fernand Govin, un Français de Lyon.
De ces sanglants combats d’octobre 1950, sur la R. C. 4, on est parvenu à reconstituer le déroulement hallucinant à l’aide des rapports des quelques officiers, sous-officiers et hommes qui survécurent. Les historiens militaires ont cherché à évaluer la responsabilité des uns ou des autres, à établir les raisons de la catastrophe, à savoir surtout si, une fois le plan « Thérèse » entré en action, il aurait pu connaître un aboutissement moins tragique. Mais on a souvent oublié qu’au-delà des chefs qui déjà ne comprenaient pas grand-chose à la succession d’ordres et de contrordres dont ils étaient assaillis, il y avait les hommes qui, eux, comprenaient encore moins où on voulait en venir.
Des hommes totalement ignorants de la stratégie et de la manœuvre, qui ne pouvaient ni prévoir ni discerner, tant les mouvements qui leur étaient imposés étaient illogiques. Alors, ils suivaient, obéissaient, se battaient, mouraient sans savoir pourquoi, sans jamais deviner dans quelle direction se trouvait le salut, ou même l’espoir.
Dans cette nuit du 3 au 4 octobre, on n’en était pas encore là. La journée avait été calme et paisible. Les quelques coups de feu que la colonne avait essuyés, tirés depuis les crêtes, étaient plutôt rassurants. Ils prouvaient que les viets, embusqués dans la jungle, ne se sentaient pas en mesure d’attaquer et se contentaient de quelques tirs de harcèlement.
Dans la nuit, la section « balai » a installé son camp à quelques mètres en retrait de la R. C. 4. Le sergent Kress veille à ce qu’aucun de ses hommes n’abuse de l’alcool que l’on possède à profusion. Les six légionnaires cassent la croûte en plaisantant. Ensuite, Maggioli, le Rital, s’adresse au sous-officier :
« Si tu m’y autorisais, sergent, j’irais bien tirer un petit coup, histoire de me remonter le moral. Les putes ne sont pas à cent mètres, j’ai repéré le troupeau tout à l’heure dans une côte.
– Ça, c’est une idée, approuve Govin, le Lyonnais. Je t’accompagne. »
Kress hausse les épaules, indifférent, avant de répondre :
« Si vous avez le cœur à ça, moi, j’ai rien à en foutre ! Si vous remarquez quelque chose sur la route, signalez-le-moi, je vous donne une demi-heure. »
Les deux légionnaires ont à peine disparu dans l’obscurité que le P. C. du commandant Forget appelle. Snolaerts écoute, attentif. Les autres ne réussissent à capter que le grésillement incompréhensible et nasillard qui s’échappe du récepteur. Kress interroge le radio du regard, Snolaerts lui répond d’un vague signe indifférent, puis reprend dans son micro :
« Tout va bien, mon commandant. Le sergent vient d’envoyer deux hommes en reconnaissance. Faut-il vous rappeler à leur retour ? (Après un temps, il ajoute :) Parfait, mon commandant, à vos ordres. (S’adressant à Kress, il poursuit :) Tout est calme, chez eux aussi, on n’appelle qu’en cas d’incident. »
Les quatre hommes s’allongent, la tête reposant sur leurs sacs, leurs képis sur le visage pour se protéger des moustiques. Vingt minutes plus tard, ils sont rejoints par Maggioli et Govin qui adoptent, en silence, la même attitude. Sans bouger, à travers son képi, Kress déclare :
« Govin, tu prends la garde pour deux heures. Maggioli te relaiera, après ce sera Zavriew.
– Et merde ! Proteste Govin, qui néanmoins se saisit d’un fusil mitrailleur et va se poster en contrebas à quelques mètres de la route.
– Dites donc, vous êtes rapides, interroge Castera.
– Ne m’en parle pas, grogne l’Italien en allumant une cigarette fripée. Elles n’ont rien voulu savoir, les salopes. Elles prétendent qu’elles sont en vacances. »
Quelques grognements de satisfaction amusés se font entendre sous les képis des quatre légionnaires somnolents.
« Les Chinoises, elles auraient marché, poursuit amèrement Maggioli, mais c’est-cette putain de salope d’Aïcha qui leur a bourré le mou. Elle fait du syndicalisme, cette mauresque de mes fesses ! Elle est arrivée à les convaincre toutes, que si elles commençaient, ça n’arrêterait plus et que très vite elles n’auraient plus la force de suivre la colonne.
– Dans un sens, elle n’a pas tort, fait remarquer le sergent. Si on apprend dans le bataillon qu’elles ont ouvert leur commerce, elles n’ont plus qu’à se préparer
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