Par le sang versé
Nam-Dinh.
8.
T ANDIS que sa compagnie se trouvait assiégée à Nam-Dinh, le lieutenant Mattei obtenait sa sortie de l’hôpital de Saigon et refusait toute convalescence.
Il gagnait Hanoï par le premier avion dans l’espoir de rejoindre ses hommes. C’est avec amertume qu’il apprit que son projet était irréalisable et qu’il se trouvait condamné à rester à l’arrière, dans l’attente de l’évolution des événements.
Au début de la deuxième quinzaine de janvier, rongé par l’inaction, le lieutenant Mattei passe ses après-midi au terrain d’aviation d’Hoan-Long qui organise les largages de vivres et de munitions sur la Cotonnière.
Mattei prend l’habitude de s’entretenir par radio avec Mulsant ou de Franclieu, essayant de comprendre sur une carte la situation de ses hommes. Pour y voir encore plus clair il obtient au bout de quelques jours, du lieutenant aviateur Francis Lecocq, d’être embarqué comme passager à bord de l’appareil qui va ravitailler le camp retranché.
L’avion est un vieux Junker asthmatique récupéré à la Luftwaffe. Sa grande carcasse de tôle ondulée semble à la limite de l’usure. Les larges ailes sont harassées par le poids des moteurs qu’elles supportent. Çà et là des trous témoignent d’attaques plus ou moins récentes.
Lecocq explique gaiement au lieutenant de Légion.
« Les viets nous ont fait un cadeau de roi ! Il y a deux semaines, on a ramassé une balle de fusil en plein centre du plancher à hauteur de la porte. Le trou nous sert de poste d’observation pour les largages sans parachutes ; avec cette méthode nous visons beaucoup plus juste. »
Ils sont six à embarquer : Lecocq, le pilote ; Mattei, un radio, un navigateur et deux largueurs.
La mise en route des trois moteurs prend un bon quart d’heure. Pour chacun d’eux plusieurs essais sont nécessaires, et ils réagissent tous les trois avec les mêmes difficultés. L’hélice tourne lentement quelques secondes, puis un fracas assourdissant se fait entendre tandis qu’une épaisse fumée noire s’échappe par toutes les issues du capot.
Lorsque, enfin, l’appareil fait son point fixe, il vibre à un tel point que Mattei se demande s’il ne va pas s’effondrer sur la piste. Une odeur d’huile brûlée remplit la cabine, et pourtant le lieutenant Lecocq paraît satisfait du résultat obtenu. Il lève le pouce dans un geste rituel et deux hommes tirent les ficelles qui libèrent les cales.
Le vieux Junker roule sur la piste, accélérant dans un tintamarre infernal, et finit par s’arracher du sol lourdement. La porte de la cabine a été enlevée en vue des largages et un violent courant d’air oblige les hommes à se tenir solidement ou à rester attachés.
Jusqu’à Nam-Dinh la route est simple, il suffit de suivre le fleuve Rouge qui serpente dans la forêt. Et vingt minutes après son décollage le Junker survole la Cotonnière, puis effectue un large demi-tour pour perdre de l’altitude. Lorsque l’appareil se présente à nouveau dans l’axe de la D. Z., les deux largueurs ont disposé près de la porte un colis de cinquante kilos. L’un d’eux s’est couché à plat ventre, l’œil vissé au trou d’observation providentiel ; l’autre est assis par terre auprès de lui, les jambes repliées, les pieds portant sur le colis à larguer. Son corps repose sur ses bras. Ses mains sont disposées à plat sur le sol. L’observateur tient le poignet "le son compagnon.
Intrigué, Mattei suit la manœuvre. À la verticale de la D. Z., l’observateur presse le poignet du largueur. Celui-ci détend brusquement ses jambes, et pousse le colis qui bascule par la portière. Mattei suit par un hublot la course du poids mort : il tombe bien au centre de la cour de la Cotonnière avec une précision étonnante.
L’opération se reproduit trois fois de suite. À chaque passage, l’avion se présente en survolant le fleuve et, dès qu’il a largué, il vire sur l’aile. De ce fait, il se trouve toujours dans une position qui le rend difficile à atteindre aux fusils et fusils mitrailleurs des viets qui pourtant chaque fois ouvrent le feu.
Après le troisième passage, le vieux Junker reprend de l’altitude et met le cap sur Hanoï. Lecocq signale par radio que la mission est accomplie.
Mattei qui, à l’aller, était demeuré dans la cabine a rejoint Lecocq dans le poste de pilotage. Il tape sur le dos de l’aviateur. Lecocq se
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