Par le sang versé
débarrasse de son casque radio qu’il laisse pendre autour de son cou et tend son oreille au lieutenant de Légion qui est obligé de hurler pour se faire entendre.
« Bravo ! Précision totale ! Vous m’avez étonné.
– L’habitude ! » répond Lecocq.
Le soir, Lecocq et Mattei se retrouvent devant un verre de bière au bar de la base aérienne.
« L’opération de la journée m’a donné une idée, déclare Mattei. Je pense que votre précision nous permettrait de lancer des bombes sur les positions de mortier qui encerclent la Cotonnière. Ça desserrerait l’étau dans lequel ma compagnie se trouve emprisonnée.
– Achtung ! Achtung ! répond Lecocq en souriant. Je crains que vous ne simplifiiez le problème. Cet après-midi nous avons largué d’à peine cent mètres d’altitude. Ça va parce que nous étions à la verticale d’une position amie. Mais si nous voulions attaquer les viets nous serions obligés de les survoler et nous leur offririons une cible terriblement vulnérable…
– Vous raisonnez trop logiquement, remarque Mattei. Au premier passage, ils seront surpris. Au suivant, ils seront trop occupés à se foutre à l’abri pour nous tirer dessus.
– De toute façon, mes supérieurs ne marcheraient jamais.
– Vous savez aussi bien que moi, Lecocq, qu’il y a manière et manière de présenter les choses. On peut toujours arracher un ordre de mission si on le désire. »
Lecocq est embarrassé. Il sait qu’il peut demander une autorisation de bombarder Nam-Dinh, sans être obligé de fournir de grandes précisions. Il voudrait bien donner à l’officier de Légion l’impression qu’il ne se dégonfle pas. Mais il lui est impossible de ne pas tenir compte des risques d’une opération aussi insolite.
« Si nous transportons des explosifs et que nous ramassons une balle bien placée, c’est le feu d’artifice, fait-il remarquer.
– Si on fait la guerre en envisageant le pire, autant aller à la pêche », réplique Mattei.
Lecocq ne peut qu’acquiescer ; il est de la même trempe que Mattei, excité par l’exploit, quel que soit le danger qu’il comporte.
Il faut quarante-huit heures au pilote pour obtenir une autorisation aux termes évasifs. Ses supérieurs se sont fait tirer l’oreille, mais ont fini par admettre qu’il était meilleur juge qu’eux pour décider d’une mission sur un terrain qu’il connaissait parfaitement pour y avoir mené à bien de nombreuses opérations.
Non sans étonnement (nul n’ignore qu’aucun bombardier n’est basé en Indochine en cette période de début 47) l’arsenal promet de fournir des bombes de cent kilos, et le 20 janvier à l’aube quatre engins sont transportés à bord du Junker comme de vulgaires colis, disposés sans ménagement auprès de la porte.
Mis au courant des intentions des deux officiers, l’équipage ne s’est pas montré particulièrement enthousiaste, mais avant le décollage les hommes sont rentrés dans le jeu et ont oublié le danger qu’ils allaient courir.
Il a été décidé que ce serait Mattei qui pousserait lui-même les bombes du pied au signal de l’observateur.
Dans la Cotonnière les légionnaires ont été prévenus et se sont massés le plus loin possible des points de chute prévus, le long du canal. La première déflagration fait trembler tous les bâtiments. Des éclats divers atterrissent dans la cour. Osling et le sergent Leroy se sont jetés à plat ventre d’un mouvement instinctif, tandis qu’ils contemplent le virage lointain du Junker.
« Il n’est pas tombé à plus de cinquante mètres de chez nous celui-là. Ils sont dingues ! La moindre erreur et on prend les pruneaux sur la gueule…
– Tu sais qui s’amuse là-haut ? » interroge Osling.
Leroy dévisage son compagnon, intrigué.
« Il n’y a pas un quart d’heure que je l’ai appris du lieutenant : c’est le patron qui trouvait le temps long à Hanoï et qui nous a organisé cette petite fête.
– Mattei ? Oh ! La vache, il ne sait vraiment pas quoi inventer… »
Osling interrompt Leroy en lui plaquant la tête contre le sol d’un geste vif : de nouveau le Junker rase le sol et lâche une nouvelle bombe qui tombe en plein sur une batterie de mortier viet. Les deux bombes suivantes sont moins efficaces mais explosent néanmoins chez l’ennemi. L’opération est un succès absolu. Pourtant elle ne sera pas répétée ; les risques
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