Par le sang versé
l’Italie.
Depuis longtemps les hommes de la 4 e avaient renoncé à tous les jeux auxquels participaient Simon le Grec et Folco le Rital. Les deux hommes en étaient contraints à tricher entre eux ou à faire des réussites pour ne pas perdre la main en attendant des contacts avec des unités extérieures.
Mattei trouve Simon au Petit Tonkinois.
« Tu sais où est Folco ? interroge-t-il.
– Je l’attends, mon lieutenant, répond le Grec en se redressant.
– Bon, nous allons l’attendre ensemble. Qu’est-ce que tu bois ?
– Une bière, avec plaisir, répond Simon étonné et inquiet.
– On va faire un petit poker tous les trois », annonce Mattei calmement.
Simon dévisage le lieutenant ; ahuri, il se demande si l’officier n’est pas pris d’une crise de folie subite.
« Cesse de me regarder comme ça, ce n’est pas moi le pigeon dans l’histoire, c’est Vang ! Il a refait Ickewitz de 9 000 piastres, je tiens à les récupérer.
– Il marchera jamais.
– Mais si, compte sur moi pour le convaincre.
– Ah ! Je vois, mon lieutenant, on va rigoler.
– Écoute. Ce que je désire, c’est récupérer l’argent qu’a secoué ce malfrat. Si on peut le faire proprement j’aime autant. Si votre notoriété est fondée, vous n’aurez même pas besoin de tricher, les Chinois sont de médiocres joueurs de poker.
– Vang joue comme une patate, mais il le sait. Il sera dur à persuader…
– Ça, j’en fais mon affaire. »
L’arrivée de Folco interrompt la conversation des deux hommes. L’Italien est rapidement mis au courant. Évidemment, l’idée du lieutenant l’enchante.
Vers vingt heures, les trois légionnaires se présentent au tripot du Chinois. Vang est surpris par la présence inhabituelle de l’officier. Il se livre néanmoins à une rituelle et obséquieuse démonstration.
Se cassant en deux, les mains jointes sur le ventre, il marmonne :
« Quel honneur, mon lieutenant, de vous recevoir dans mon modeste établissement.
– Je vous remercie de votre accueil, réplique Mattei. Nous désirons faire une partie de poker, nous comptons sur vous pour nous trouver un quatrième.
– Vous savez, mon lieutenant, nous ne sommes pas très familiarisés avec vos jeux occidentaux…
– Pas possible ! Quelle chance inespérée vous avez, Vang ! J’ai justement deux spécialistes avec moi. Ils vont se faire un plaisir de vous initier. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, mon vieux. »
Puis, se tournant vers les légionnaires, il poursuit :
« J’ai trouvé notre quatrième, les gars. Vang meurt d’envie de se perfectionner dans les pratiques occidentales du jeu.
– Non, non, vous m’avez mal compris, mon lieutenant, je craindrais par mes erreurs d’ôter tout intérêt à votre partie. »
Derrière, au bar, Folco vient de se servir un verre de schoum. Ostensiblement, il laisse tomber à terre la bouteille pleine qui se brise.
« Excusez-moi, mon lieutenant, je suis d’une maladresse navrante. »
Mattei éclate de rire.
« C’est incroyable, Folco, chaque fois qu’on te contrarie tu deviens d’une nervosité maladive, fais-moi penser d’en parler au major.
– Je crois que je vais jouer avec vous », dit tristement Vang, qui ne se fait aucune illusion depuis le début.
La partie dure plus de dix heures. Le jeu est parfaitement régulier et l’extrême prudence de Vang fait qu’il ne perd que petit à petit. Néanmoins, vers sept heures du matin, il a laissé plus de 10 000 piastres aux trois hommes. Mattei perd alors ostensiblement 700 piastres afin que le compte soit juste et qu’aucun doute ne puisse se glisser dans l’esprit du Chinois sur le motif de l’entreprise.
Au reste, Vang se montre beau joueur, il félicite ses partenaires et déclare :
« J’aimerais savoir, mon lieutenant, ce qui se serait passé si par miracle j’avais gagné.
– C’est simple, réplique Mattei, j’aurais fait comme toi, j’aurais triché. »
Le soleil est déjà levé lorsque les trois hommes traversent la cour du quartier. Stupéfaits, ils s’arrêtent devant le spectacle qui s’offre à leurs yeux.
Au pied du mât du drapeau, une tête couverte d’un képi blanc semble posée sur le sol. Ahuris, Mattei et les deux légionnaires découvrent que l’homme est enterré verticalement jusqu’au menton.
« Nom de Dieu, s’exclame le lieutenant, courez me chercher une pelle. »
Il
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