Par le sang versé
puis, je l’aime bien », ajoute-t-il pensif.
Osling comprend. C’est comme si Baucher avait déclaré : « J’aime autant crever avec lui qu’avec un autre. »
« C’est bon. Va le réveiller », déclare-t-il simplement.
Il n’est pas tout à fait deux heures du matin lorsque l’embarcation est mise à l’eau depuis l’appontement. Les trois contagieux sont étendus au centre de l’esquif sur des matelas pneumatiques. Ils réalisent mal l’entreprise des légionnaires, mais ils n’ont pas la force de réagir. On leur a seulement recommandé de rester silencieux et de ne se plaindre en aucun cas.
Par chance, la nuit est noire. Les hommes qui ont aidé à la mise à l’eau et à l’installation des malades n’ont pas prononcé une parole. Le radeau gagne le milieu du canal sans attirer l’attention de l’ennemi.
L’embarcation glisse bien, Baucher à l’avant ne donne que de rares coups de pagaie, laissant le courant les entraîner en silence. À l’arrière, Roux fait gouvernail. Il tente de maintenir l’esquif au milieu du canal, devinant les rives plus qu’il ne les distingue.
Les fesses des deux légionnaires trempent dans l’eau mais les malades sont protégés par l’épaisseur des matelas pneumatiques. Après une demi-heure, Baucher aperçoit, sur la rive droite, un feu qui projette une tache de lumière sur l’eau. Il se retourne vers Roux qui murmure simplement : « Vu. On contourne. »
Inconscient du danger, l’un des blessés se met à geindre et demande à boire. Roux lui plaque sa main sur la bouche et, s’approchant de son oreille, il chuchote entre ses dents crispées :
« Ta gueule, tu m’entends, ta gueule ou je te balance à la baille. »
Puis il trempe un mouchoir dans l’eau du canal et le plaque sur la bouche du mourant.
À hauteur du feu, les légionnaires distinguent les silhouettes des viets. Le radeau longe la rive opposée pendant une centaine de mètres, puis regagne silencieusement le milieu du canal. La progression se poursuit sans incidents, mais le temps passe et l’aube se lève lorsque Baucher constate que le canal s’élargit. Encore dix minutes et, dans la lumière du petit matin, les légionnaires distinguent parfaitement l’embouchure du fleuve Rouge. Bien au centre du fleuve l’embarcation de la marine les attend. Alors ils changent de tactique et se mettent à ramer de toutes leurs forces.
Le L. C. T. est repéré avant eux et un tir d’armes automatiques est dirigé contre lui de la berge. À cette distance les marins ne risquent pas grand-chose, mais il est évident que le radeau ne pourra pas les atteindre. L’enseigne de première classe Legouhy prend alors la décision qui va lui valoir les arrêts de rigueur. Il enfreint les ordres formels qu’il a reçus et se porte à la rencontre de l’esquif, exposant dangereusement son embarcation. En quelques minutes, il rejoint le radeau, mais le transbordement doit s’effectuer sous un feu d’enfer. Les malades ne sont pas atteints, mais Baucher est frappé d’une balle en pleine tête et coule à pic dans l’eau boueuse. L’un des marins est grièvement blessé, ce qui aggravera le cas de l’enseigne. Enfin, le L. C. T. s’éloigne, laissant le radeau se balancer dans son sillage.
À bord, Roux se tient debout, les mains derrière le dos. Il a remercié d’un mot l’enseigne qui a simplement hoché la tête et répondu :
« Vous vous en êtes bien sorti, vous êtes marin ?
– Je suis d’Audierne.
– Ah ! Et votre copain ?
– Il était d’Anvers.
– Pas de chance. Désolé, mon vieux. »
L’un des trois malades ne parviendra pas vivant à Hung-Yen. Les deux autres survivront.
En compensation du blâme qu’il reçut de ses supérieurs, l’enseigne de vaisseau de première classe Legouhy fut élevé au rang de légionnaire d’honneur par le 3 e Étranger.
Dans la matinée du 23 janvier, le vaccin est parachuté sur la Cotonnière. Une patrouille perdra un homme en transportant les ampoules destinées à la banque, puis ce sera, de nouveau, la monotonie du siège.
Les deux compagnies de Nam-Dinh repousseront tous les assauts viets jusqu’au 13 mars, date à laquelle elles seront relevées par un effectif beaucoup plus important. Le siège aura coûté à la 4 e compagnie du 3 e Étranger une vingtaine de morts et autant de blessés.
La Légion aura tenu le camp retranché de la Cotonnière pendant deux mois et six
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