Par le sang versé
n’est pas étonné, en se rapprochant, de reconnaître Ickewitz qui, parfaitement conscient, le dévisage :
« Qu’est-ce que tu as encore inventé, bougre d’abruti ? lance Mattei.
– C’est la punition, mon lieutenant. Vous avez pas voulu la donner, alors je l’ai trouvée tout seul.
– Quel est le cinglé qui t’a enterré là ?
– Je dirai pas, mon lieutenant.
– C’est moi, mon lieutenant, j’ai cru bien faire, il insistait tellement ! »
Accourant, Fernandez vient de répondre. Mattei ne sait plus quelle attitude adopter bien que la situation soit à ses yeux d’une grande clarté. Il y a un bon demi-siècle qu’a disparu cette vieille coutume qui consistait à enterrer les hommes au pied du drapeau et à les laisser au soleil ou à l’humidité douze ou vingt-quatre heures selon l’importance de la faute à sanctionner. Cette méthode fit jadis partie des traditions féroces de la Légion étrangère et Mattei ne se privait pas, au cours de ses accès fréquents de colère, d’en menacer les hommes comme on use de l’Image d’un croquemitaine pour frapper l’imagination d’un enfant. Il allait même jusqu’à prétendre déplorer l’abolition d’un système qui se révélait, disait-il, si efficace et bénéfique.
Et voilà. Dans sa tête d’oiseau, Ickewitz avait trouvé la solution à son problème. Il avait lui-même sanctionné sa faute par le châtiment le plus cruel. Il allait donc être pardonné.
« Déterre-le, ordonne Mattei, j’aviserai.
– Non, mon lieutenant, tranche Ickewitz, je veux rester sans boire jusqu’à ce soir.
– Soyez chic, mon lieutenant, laissez-le », intervient Fernandez.
Brusquement Mattei se rend compte qu’Ickewitz par son geste résout également son problème à lui. Il était fort embarrassé quant à l’attitude à adopter vis-à-vis du géant. En acceptant la sanction qu’Ickewitz s’est lui-même infligée, il pourrait le soir même passer l’éponge sur le vol, ce qui, au fond, l’arrange considérablement.
« C’est bon, acquiesce-t-il, tu restes jusqu’au coucher du soleil. J’enverrai le toubib te surveiller toutes les heures, et je t’autorise à boire autant d’eau que tu veux.
– Je ne boirai rien, mon lieutenant. »
Vers midi, le spectacle devient horrifiant. La douleur défigure le visage boursouflé du légionnaire. Les moustiques mènent une ronde incessante autour de sa tête. Autour de son cou, la sueur dessine sur la terre un cercle humide. Ickewitz a repoussé les tentatives de ses compagnons pour le faire boire. Il a refusé qu’on lui jette des seaux d’eau sur la tête. Il n’a plus la force de, parler, mais, jusqu’au dernier moment, à toutes les offres d’aide, il agite la tête en signe de négation.
Vers seize heures il s’évanouit. On le déterre séance tenante et quatre hommes le portent à l’infirmerie. Adam Ickewitz est resté clans son trou près de dix-neuf heures, il lui faudra deux jours pour récupérer.
11.
L A réplique célèbre : « Je ne veux pas le savoir » que l’on attribue généralement aux adjudants de quartier, n’a pas cours à la Légion étrangère. En revanche, il est une phrase que connaît bien tout légionnaire pour se l’être entendu répéter des centaines de fois par son supérieur direct, c’est le classique : « Vous êtes légionnaire, démerdez-vous. »
Que cette apostrophe soit lancée par un caporal-chef à un caporal ou par un colonel s’adressant à un lieutenant-colonel, il est prudent de savoir qu’elle ne demande aucune réplique, mais seulement de la réflexion et la plupart du temps l’élaboration d’un système ingénieux. Il est prudent de prévoir, en outre, que si ce système s’écarte des règles de la morale militaire il est recommandé de ne pas se faire prendre. Enfin et surtout, dans le cas où par malchance une indélicatesse suggérée par un supérieur viendrait à être percée à jour il faut encaisser et se taire. Les quelques ignorants qui eurent le malheur d’enfreindre cette règle en constatant : « Mais, chef, c’est vous-même qui m’avez dit : tu es légionnaire, démerde-toi », ces quelques ignorants mirent souvent de longs mois à se repentir de leur logique.
Le 1 er avril 1947, Antoine Mattei eut avec le P. C. d’Hanoï une conversation téléphonique que son interlocuteur, le commandant Laimay, conclut par la définitive formule :
« Mon
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