Par le sang versé
légionnaires de l’autre, sur des paillasses.
– Les religieuses vont se déshabiller tous les soirs sous les yeux des hommes ?
– Ah ! Merde ! C’est la guerre, je ne vais pas faire coucher les hommes dehors avec l’humidité. Et puis pour commencer, il faut aller les chercher. Rassemblez la compagnie, je parlerai aux hommes avant le départ.
– À vos ordres, mon lieutenant », lancent en même temps les trois sous-officiers.
Vingt minutes plus tard, la compagnie est rassemblée dans la cour du quartier, en short et chemisette.
D’un coup d’œil machinal Mattei s’assure de l’ordre des tenues, puis il lance :
« Repos. »
Les hommes se détendent. Ils savent que Mattei va brièvement les mettre au courant de la mission qui les attend. Ce n’est pas une règle, c’est l’habitude du lieutenant. Ce jour-là, Mattei est loin d’être à l’aise, il commence cependant son exposé d’une voix ferme :
« Légionnaires, à l’issue de la mission du jour, qui consiste à évacuer une centaine de bonnes sœurs du couvent Saint-Vincent-de-Paul de Thai-Binh, vous allez devoir cohabiter un certain temps avec ces religieuses. J’exige de vous une correction toute particulière à leur égard, je vous rappelle que vous ne devez pas les considérer comme des femmes. Je sanctionnerai sans la moindre indulgence le plus léger écart de votre part. C’est tout. »
En parlant, Mattei a marché de long en large devant les hommes. La plupart des visages arborent un sourire entendu. Mattei hésite et reprend :
« Pour ceux qui m’auraient mal compris, ça signifie que le premier qui cherche à en sauter une aura affaire personnellement à moi. Rompez. »
C’est la première fois que la compagnie se rend à Thai-Binh. Mattei a décidé d’ouvrir une piste à travers la jungle, empruntant ainsi un itinéraire imprévisible. La forêt est plus dense que prévue. Les hommes de tête ouvrent au coupe-coupe leur chemin. De nombreux arroyos doivent être traversés. L’eau est plus haute que ne le pensait le lieutenant, et les hommes sont plusieurs fois immergés jusqu’à la poitrine dans le flot visqueux. Au bout de deux heures ils ont à peine couvert la moitié du parcours, ils commencent à sentir l’odeur écœurante dégagée par le feu géant qui consume la ville.
Au fur et à mesure de leur progression, le soleil, voilé par l’opaque fumée, métamorphose les couleurs vives de la jungle et disperse une lumière atténuée. Lorsqu’ils aperçoivent la ville, elle brûle encore. Thai-Binh est accrochée sur le flanc d’une haute colline déboisée. Mattei repère immédiatement le couvent que ses épais murs de pierre ont préservé de l’incendie. En principe l’ennemi a quitté la ville, mais pour plus de sécurité, Mattei déploie la compagnie en éventail, espaçant les hommes de cinq mètres. Lentement les légionnaires gravissent alors la colline pierreuse. À mi-chemin, ils aperçoivent trois hommes qui, os tensiblement à découvert et faisant de grands signes, dévalent la pente à leur rencontre. Ce sont des soldats marocains du 11 e thabor. L’un d’eux, un grand caporal qui baragouine quelques mots de français annonce calmement :
« Mon lit’nant, tout l’monde il i mort. »
Il ne semble pas particulièrement ému par sa déclaration et Mattei en profite pour se faire expliquer tant bien que mal la nuit d’horreur et ses conséquences. Il ressort du discours laborieux du Marocain, que l’effectif du thabor se bornait à une quarantaine d’hommes. Ils ont été attaqués vers minuit, les viets ne semblaient pas beaucoup plus nombreux mais ont bénéficié de l’effet de surprise.
Le caporal et quatre de ses compagnons se trouvaient dans le couvent au moment de l’attaque. Chaque soir, cinq hommes, par roulement, étaient chargés de cette mission – ce qui a sauvé trois d’entre eux. Leurs armes automatiques étaient protégées efficacement par les murs du couvent, et les viets abandonnèrent à la troisième tentative d’assaut.
Le reste de la ville, en revanche, a été systématiquement pillé et incendié. La compagnie inspecte prudemment ses rues avant de se rendre au couvent. Çà et là gisent les restes des Marocains déchiquetés, découpés, mutilés avec une sauvagerie qui soulève le cœur. Enfin, après avoir disposé des sentinelles aux points stratégiques, Mattei suivi de la section Osling se dirige vers le couvent.
La
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