Par le sang versé
par la sécheresse de la réplique, Geneviève Seydoux reprend sa place auprès de l’administrateur avec lequel elle poursuit la conversation :
« D’après ce que j’ai cru comprendre, l’escale finale de Lai-Vung doit durer trois heures. J’espère pouvoir les mettre à profit pour visiter le village et ses environs.
– Je n’y vois aucun inconvénient, je serai moi-même astreint à quelques tâches ; mais je vous ferai escorter par un homme pour plus de sécurité. »
Accoudé au bastingage, fumant tranquillement, Karl Hoffmann (von der Heyden) contemple, pensif, la berge qui défile lentement. Il se trouve être le légionnaire le plus proche du couple. L’administrateur l’interpelle d’un signe de bras autoritaire. « Eh ! vous ! »
Hoffmann s’approche sans hâte.
« Vous parlez français ?
– Oui.
– Parfait. À Lai-Vung, pendant l’escale, vous escorterez M lle Seydoux qui a exprimé le désir de visiter le village et ses environs. »
Hoffmann n’a même pas un regard vers la jeune fille, il répond, détaché :
« Je reçois mes ordres du lieutenant Destors. »
Puis, il se retourne, indifférent, et se replonge dans sa contemplation rêveuse. L’administrateur reste quelques secondes désorienté avant de hurler d’une voix suraiguë :
« Lieutenant ! »
Destors se précipite.
« Cet homme vient de me manquer de respect. Je vous prierai de sévir séance tenante. »
Du doigt, il a désigné Hoffmann qui est toujours impassible.
« Que s’est-il passé, Hoffmann ? interroge Destors, ennuyé.
– Ce monsieur m’a donné un ordre. Je lui ai dit que je les recevais de vous, c’est tout.
– Sur un ton que je ne saurais accepter, rétorque l’administrateur.
– Vous savez, fait remarquer le lieutenant, les légionnaires et les usages…
– Je demandais poliment à cet énergumène de bien vouloir accompagner M lle Seydoux dans une promenade à travers Lai-Vung et ceci par mesure de sécurité. Puisque sa cervelle ne semble enregistrer que ce qui vient de vous, veuillez avoir l’obligeance de lui signifier votre accord pour cette mission dont il ne mérite pas l’honneur.
– C’est bon, Hoffmann, cède Destors, las de cette discussion. Vous accompagnerez M lle Seydoux pendant l’escale.
– À vos ordres, mon lieutenant », répond Hoffmann, absolument indifférent.
À l’escale, pendant la promenade, Hoffmann se contente de marcher à côté de la jeune fille, sans faire aucun commentaire, répondant seulement par oui et par non aux nombreuses questions qu’elle lui pose.
Lorsque les jeunes gens regagnent le débarcadère, Geneviève lance sèchement : « Merci de votre obligeance ! » Hoffmann s’éloigne sans rien ajouter.
Au retour, la My Huong se transforme en arche de Noé. À Lai-Vung, trois familles accompagnées de leurs enfants et d’animaux vivants embarquent, puis au bac de Vam-Cong l’administrateur adjoint de Long-Xuyen fait monter à bord treize gardes communaux destinés au poste de Lap-Vo. Enfin, à Vinh-Than, les légionnaires récupèrent leur mascotte : un jeune orphelin annamite de treize ans, le petit Pham Van So, qui vient de passer quelques jours chez des amis. Il ramène deux chèvres et six poules.
À seize heures trente, la My Huong s’engage dans le rach Lap-Vo. Sur le toit le légionnaire Phily à la mitrailleuse de 50 et le légionnaire Beguain à celle de 30, surveillent les berges aidés chacun d’un partisan.
À seize heures quarante, la chaloupe surchargée progresse lentement et parvient à hauteur du rach Vai-Son. Alors, brusque et inattendue, c’est l’attaque. Trois armes automatiques provenant de la rive nord ouvrent un feu nourri.
La première rafale atteint trois hommes qui s’écroulent mortellement blessés ; ce sont les légionnaires Fusco et Streck, et le caporal Klein.
À bord, la panique s’empare des passagers. Les civils se sont jetés à plat ventre, écrasant souvent les enfants dans leur chute. Les mitrailleuses du toit ont riposté immédiatement, mais elles tirent au hasard tandis que l’ennemi bien caché s’acharne contre elles avec une précision étonnante. Un des partisans qui servait de chargeur est tué. Une balle coupe la bande de l’une des mitrailleuses ; la seconde est mise hors de combat par un projectile qu’elle reçoit dans son berceau.
La chaloupe continue d’avancer lentement, mais d’autres armes automatiques
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