Paris Ma Bonne Ville
enfants et les enfants de vos enfants. Ha ! mes frères
bien-aimés ! Que si vous participez à cette bonne œuvre tout soudain vous
saisissant du plus sacré des glaives pour extirper par ses humaines racines
l’hérésie maudite de Dieu, alors je vous le dis, au nom de Dieu le Père, du
Christ et du Saint-Esprit, votre salut sera à jamais assuré en le séjour des
bienheureux et vous entrerez tout droit au Paradis, sans passer par le
Purgatoire, le sang d’un seul hérétique, je dis bien d’un seul, vous purifiant
de tous les péchés que vous aurez pu auparavant commettre. Oui, mes bien-aimés
frères, je vous le dis en vérité : eussiez-vous commis jusque la minute
même où je parle toutes sortes de crimes, d’offenses, de paillardises et
d’atrocités, eussiez-vous même tué père, mère, frère, sœur et cousin, tous ces
péchés vous seront remis quand vous armerez vos bras pour venger Dieu de ces
méchants et sauver la Sainte Église catholique, apostolique et romaine des
puants hérétiques qui tâchent de la jeter bas.
Ayant huché à
tue-tête et oreilles étourdies ces mots épouvantables, avec un grand martèlement
et batture de son pupitre, le curé Maillard s’accoisa et reprit au bout d’un
temps d’une voix soudainement basse, suave et pateline :
— C’est
là la grâce que du plus profond de mon cœur paternel, je souhaite à tous céans,
mes frères, en vous exhortant à prier Dieu instamment qu’il plaise à sa bonté
et miséricorde de vous assister en la tant juste et louable entreprise que je
viens de dire. Mes frères, communiant tous ensemble en cet édifiant et
confortant pensement de la proche extirpation de l’hérésie en ce royaume, ad
maximam Dei gloriam [45] ,
je vous convie à réciter avec moi un Pater et un Ave.
— Pour
l’amour du ciel, me glissa l’Etoile à l’oreille en me touchant le bras, cessez,
Siorac, de tressaillir comme canard décapité, et de grâce, priez, priez à fort
haute voix ! Chacun est céans épié de tous, et ce serait votre mort, et la
mienne aussi, si on pouvait soupçonner que vous êtes contraire à ce que vous
venez d’ouïr.
Jetant alors à
l’entour un regard circonspect, je vis tant d’yeux luisants de zèle, de
courroux et de haine, que j’obéis au bon l’Etoile et, le cœur navré, joignis ma
voix à celle de cette foule qui requérait dévotement du Dieu de pardon et
d’amour le courage d’occire une partie de la chrétienté. Et encore que je le
fisse à haute voix et non sans labourer un petit à me ramentevoir l ’Ave
Maria que pourtant Barberine m’avait en mes enfances appris et que j’avais
d’autant volontiers récité deux fois le jour que dans ma puérile imagination
Marie et Barberine se confondaient quelque peu, j’eusse prié du bout des lèvres
et du bout du cœur avec ce peuple égaré si je n’avais donné à mon oraison une
direction tout autre que la sienne, l’infléchissant vers le souhait d’un
fraternel accommodement entre les papistes et nous, afin que jamais aucun des
deux partis ne répétât sur l’autre le massacre de la Michelade, lequel, à vrai
dire, avait marqué mes vertes années de son inoubliable horreur.
— Siorac,
me dit l’Etoile quand nous saillîmes enfin de Saint-Eustache, pas un mot, je
vous prie, avant que nous ayons gagné votre logis : on nous pourrait ouïr.
Il me fallut
donc mon frein ronger et mon ire ravaler jusqu’à ce que nous fussions dans
l’atelier de Maître Recroche, lequel était vide, tout labour étant interdit les
dimanches et les fêtes des saints, celles-ci étant bien trop nombreuses au goût
de Maître Recroche, lequel n’aimait guère les curés pour ce que, disait-il,
« à chaque prêche, ils vont inventant un saint nouveau qu’il faut
chômer : aubaine pour les quêtes et ruine pour les négoces ».
— Mon
cher l’Etoile, dis-je, le nœud de la gorge noué par ce que je venais d’ouïr,
prêchent-ils donc à ce train infernal en toutes les églises, chapelles et
abbayes en Paris ?
— À la
vérité, dit l’Etoile en haussant les sourcils, il y a des curés plus doux que ce
Maillard, mais il y en a de pis.
— Ha !
dis-je tout à plein confondu, mon bon, mon honnête ami, qu’est cela ?
Qu’est cela sinon un appel à la meurtrerie ?
— Roide
et manifeste. La raison pourquoi vous en êtes étonné, c’est qu’en vos
provinces, vous n’alliez pas à messe. Pour moi, j’ois ce langage tous
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