Paris Ma Bonne Ville
un œil cy, un œil là, je trouvais mes voisines tout à la
fois apeurées et rebelles, et comme sentant les poindre assez l’injustice qui
leur était faite, ce qu’elles n’osaient montrer autrement que par des furtifs
regards qu’elles entr’échangeaient. Que Maillard sentît ou non cette mutinerie,
ou qu’il se laissât emporter par la volupté de ces peintures d’Enfer, je ne
sais, mais reprenant souffle et voix, et touchant les supplices et tourments
que les diables infligeraient aux pauvres garces dénudées, il entra si
longuement en détails si horribles et repoussants que je ne saurais ici les
répéter de peur d’offenser les dames qui me lisent.
Pour le coup,
à celles qui étaient présentes là, il ne faillit pas à leur faire bien peur d’avoir
commis le crime d’être de leur doux sexe, comme s’il eût voulu se revancher sur
lui de s’en être interdit l’accès par ses vœux.
Par surcroît,
ce prêche, pour fol et cruel qu’il fût en ses accents, me paraissait fort
inutile car je ne sache point que les terreurs de l’au-delà aient jamais
prévalu dans le cœur des hommes sur les voluptés de l’heure, d’autant que dans
la religion papiste, il suffisait aux pécheresses d’une confession auriculaire
pour les laver de leurs péchés, et leur refaire une âme impollue. Tout au plus
pouvait-on attendre de cette bourbeuse éloquence qu’elle accrût dans la semaine
à Saint-Eustache le nombre des pénitentes et le nombre des deniers qu’il leur
faudrait verser aux prêtres qui les absoudraient.
Mais tout
finit, et quelque complaisance qu’y mît Maillard, il arriva au bout des
tourments affreux qui attendaient en l’Enfer la plus douce moitié de l’humanité
en châtiment des paillardises commises avec l’autre moitié. Reprenant souffle
alors, car il s’était fort échauffé à détailler tous ces supplices, il
s’accoisa, pria un long temps en silence, et reprit d’une voix sourde :
— Si
grands que soient les débordements des femmes, et si justes que soient les
punitions dont elles seront dans l’Enfer impiteusement visitées, les uns et les
autres ne sont rien en comparaison des crimes affreux et répétés commis contre
notre Sainte Mère l’Église, contre la benoîte Vierge Mère de Dieu, contre tous
nos saints, contre Dieu même, par les sanguinaires suppôts de la religion
prétendument réformée. Ha ! mes frères ! Depuis un mois, on a vu ces
huguenots maudits affluer par centaines, et encore par centaines, en cette
Paris que voici, riant et ricanant comme diables cachés en alcôves adultères,
pour assister à ce mariage infâme – je dis bien à ce mariage infâme !
— qui doit unir, Dieu lui-même s’en voilant la face, une grande Princesse
catholique, sœur de notre souverain, avec le faux et cauteleux renard réformé
de Navarre. Ha ! ciel ! Peut-on unir l’eau et le feu en une union
contre nature et, j’ose dire, prostituée ! Se trouvera-t-il en ce royaume
un seul évêque renégat pour la célébrer, alors que s’y oppose de toutes ses
forces notre Saint Père le Pape ? Et si la male fortune veut qu’elle se
fasse dans les dents mêmes de son opposition, ne sera-t-elle pas, cette
épouvantable union, l’œuvre et le fruit de ce même Satan qui donna au sinistre
chef des huguenots l’oreille de notre pauvre Roi, lequel est incité à l’heure
par ce perfide et corrupteur conseiller à secourir les gueux huguenots des
Flandres contre les armées de Sa Majesté très catholique, Philippe II
d’Espagne, lequel est ce jour d’hui le plus sûr rempart de notre foi romaine en
la chrétienté... Ha ! mes frères ! Souffrirons-nous plus outre d’être
empoisonnés en cette Paris que voici par ces hôtes indésirés qui, grouillant
comme vers en charogne, s’introduisent en vos logis pour corrompre vos
croyances et s’ils y faillissent, ne rêvent que de vous détruire tout à plein,
et vos âmes, et vos corps. Ha ! mes frères ! Quel malheur est le
vôtre s’il vous faut garder ce venin diabolique en l’estomac et le laisser
gagner votre foie pour l’étouffer plutôt que de le raquer pour être allégés et
guéris ! Ha ! mes frères ! Croyez-moi ! Il ne faut qu’un
peu de cœur et de courage pour vous débarrasser à jamais de cette vermine
foisonnante et mettre enfin à exécution l’œuvre de sainte extermination
recommandée par le Saint-Père, laquelle vous mettra à jamais en repos, vous,
vos femmes, vos
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