Paris Ma Bonne Ville
accroire
à eux-mêmes, tenant boutique de momeries par où ils singeaient les rites
d’Église, mais au rebours.
Cependant, M.
de Montaigne, ne trouvant plus, à ce qu’il me parut, que la parole lassait et
blessait son estomac rempli, revint de lui sur le sujet de Paris, laquelle (je
parle de Paris) le touchait de si près qu’il en fit le plus émerveillable
éloge : discours qui me divertit comme il m’enchanta, tenant en ma
remembrance tout le mal que le capitaine Cossolat en Montpellier, m’avait dit
de la « villasse », de sa puanteur, de ses incommodités, de la presse
qui vous y foulait, de la vacarme insupportable des charrois, et de l’arrogance
infinie de ses habitants.
— Monsieur
de Montaigne, dis-je, voilà un autre son de cloche que celui que j’ai en
Languedoc tant souvent ouï.
— C’était
préjugé ! dit Montaigne. Pour moi, je ne me mutine jamais tant contre la
France que je ne regarde Paris de bon œil : elle a eu mon cœur dès ma
jeunesse... Plus j’ai vu, depuis, d’autres villes belles, plus la beauté de
celle-ci a gagné sur mon affection. Je l’aime par elle-même et plus en son être
seul que chargé de pompe étrangère. Je l’aime tendrement, jusques à ses verrues
et à ses taches : je ne suis Français que par cette grande cité, grande en
peuples, grande en félicité de son assiette ; mais surtout grande et
incomparable en variété et diversité de commodités : la gloire de la
France et l’un des plus nobles ornements du monde.
À ce discours,
nous entrevisageant tous trois avec ravissement, nous fûmes si enflammés des
beautés vers lesquelles nous irions dès le lendemain galopant sur les grands
chemins du royaume qu’à peu que je n’oubliasse le propos de ma visite. Et à
vrai dire, je ne m’en ramentus que lorsque, après avoir poursuivi encore un
petit ses propos, M. de Montaigne, se levant, s’excusa de nous quitter sur une
tâche qui lui restait à faire avant que de s’aller coucher, ajoutant que si
nous étions résolus à départir le lendemain à la pique du jour, il nous fallait
lui faire de présent nos adieux, pour ce qu’il était accoutumé, étant marié et
vieil, à se lever tard. Et moi, ne sachant s’il avait tout à trac oublié ma
requête, ou si son silence voulait dire qu’il la refusait, je balançai en mon
for à remettre ce lièvre à courre, quand il me dit :
— Monsieur
de Siorac, je vais de ce pas dicter à mon secrétaire votre requête au Roi. Il
vous la remettra demain à votre département. Vous n’aurez que de la signer.
— Ha !
Monsieur ! criai-je, que de grâces je vous dois !
— Aucune.
L’injustice commise contre un seul est une injure au genre humain. Il faut qu’un
chacun tâche à la rhabiller à peine d’être soi-même injuste.
— Monsieur,
dis-je, un dernier petit mot : pourrais-je dire dans les occasions que ma
requête au Roi fut de vous rédigée ?
À quoi,
haussant le sourcil et la mine circonspecte assez, Montaigne parut d’abord en
quelque doutance s’il dirait non ou oui, mais à la fin, sa générosité le
disputant à sa prudence, il se décida pour un terme moyen et dit avec un
sourire :
— Si on
vous le demande, ou si vous le cuidez utile à la fin que vous en attendez, dites-le.
Sinon, ne dites rien.
CHAPITRE IV
Nous
atteignîmes Montfort-l’Amaury sans embûche ni encombre le 1er août au
soir, et nous trouvant encore à une bonne journée de cheval de Paris, je
décidai de passer la nuit en ce joli bourg qui se niche sous ses vieilles tours
à l’orée de la forêt qui porte son nom. Mais nous fermèrent l’huis au nez les
deux gîtes de Montfort, n’ayant plus de quoi loger même une épingle, tant était
grande, à cette étape, la presse des gentilshommes qui, venus de Normandie et de
Bretagne, se ruaient à la capitale à l’invite du roi, pour assister au mariage
de la Princesse Margot. Et nous eussions été dans le plus mortel embarras (ne
pouvant dormir aux champs, le temps en ce 1er août étant pluvieux et
froidureux) si l’alberguière du deuxième gîte, nous voyant si quinauds, et en
outre émue en notre faveur par notre bonne mine (et la beauté de mon Samson),
ne nous eût conseillé d’aller frapper à l’huis de Maître Béqueret, qui tenait
officine d’apothicaire sur le côté senestre de l’église, et qui, ayant un logis
fort vaste, nous pourrait accommoder, s’il le voulait.
Nous y
allâmes, et encore que
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