Paris vaut bien une messe
qui coulait de mes plaies m’a sauvé. J’avais
bien combattu. Elle était ma prise.
Il baisse la tête.
— Quant à ce qu’ils ont fait des autres femmes…
Il se tait un moment.
— Dieu veut-Il cela ?
Il se lève, mais, au bout de quelques pas, titube. Il refuse
que Montanari, qui l’a rejoint, le soutienne.
— Vous la garderez ici, dit-il en montrant d’un
hochement de tête la porte de la chambre où se trouve Anne.
— Elle n’est plus huguenote, répond Montanari, mais
bonne catholique.
— On tue qui l’on veut, répond Bernard de Thorenc. On
égorge un chrétien parce qu’il est un mal-sentant de la foi aux yeux du premier
venu…
Il hausse les épaules.
— Qui sait ce que veut Dieu, qui Il condamne ? Qui
sont, pour Lui, les mal-sentants de la foi ? Je ne connais que chrétiens,
Juifs et infidèles.
Il retourne lentement s’asseoir.
— Mais les rois choisissent selon leurs intérêts ceux
qu’ils veulent tuer et ceux dont ils font des alliés, qu’ils soient infidèles,
mal-sentants de la foi ou bien juifs. Vous autres Vénitiens agissez de la sorte
depuis longtemps. On brûle les hérétiques, on combat les infidèles, on
contraint Maures et Juifs à se convertir seulement quand il y va de l’intérêt
des princes ou du doge. Mais Dieu veut-Il cela ? Veut-Il qu’on tue des
hommes en Son nom ?
— Dieu laisse les hommes se damner, dit Montanari, puis
Il les juge.
— Gardez-la ici, murmure Bernard de Thorenc.
Il traverse la pièce en claudiquant. Vico Montanari l’aide à
descendre l’escalier.
Comme ils traversent la cour, on entend dans la rue une voix
qui clame, répétant chaque phrase, détachant chaque mot :
— L’ange de Dieu a exécuté le jugement du Seigneur. Le
traître Coligny, qui a voulu tuer le roi, qui voulait perdre la France et a
fait tant de mal à Paris, n’est plus maintenant que charogne pour les vers et
les corbeaux ! Dieu soit loué !
15.
« Illustrissimes Seigneuries,
Je n’ai pu avant ce jour, jeudi 28 août 1572, vous rapporter
les événements extraordinaires et sanglants survenus à Paris depuis le dimanche
24, jour de la Saint-Barthélemy.
Les portes de la ville ayant été fermées et les barques
enchaînées aux rives de la Seine dès le samedi 23 sur ordre du roi, aucun courrier
n’a pu quitter Paris jusqu’à aujourd’hui.
Ce jeudi 28, les portes ont été rouvertes et, au regard de
ce qui s’est passé quatre jours durant, la ville est calme.
Je l’ai parcourue.
Des potences ont été dressées aux carrefours et portent des
grappes de pendus. La corde noue ensemble pillards et huguenots. Les corbeaux
par dizaines coassent au-dessus des gibets ; les yeux et les entrailles
des morts ne sont que chair à picorer.
Mais la pendaison est un privilège auquel ont rarement eu
droit les huguenots.
On les traque encore.
Ce matin, quai de l’Étoile, à quelques pas de l’hôtel de
Bourbon et du palais du Louvre, j’ai vu une meute de vauriens arracher ses
vêtements à une femme dont la robe noire et le port austère avaient dû faire
penser qu’elle était de la religion réformée. La malheureuse battait des bras
comme une noyée. Les chiens se sont disputé ses jupons, puis l’ont culbutée
avant de la précipiter dans la Seine.
Peu après, sur le même quai, j’ai vu s’avancer, précédée de
hallebardes, de porteurs de bannières et de crucifix, de prêcheurs, la grande
procession qui, conduite par la famille royale, se rendait à Notre-Dame.
Je l’ai rejointe, marchant aux côtés de Diego de Sarmiento,
envoyé du roi d’Espagne, et des ambassadeurs des cours d’Allemagne et d’Italie.
Le père Verdini s’est félicité, au nom de Sa Sainteté
Grégoire XIII, de la victoire remportée sur la secte huguenote.
Sarmiento s’est moqué de cet amiral de Coligny qui
prétendait faire la guerre à l’Espagne ou imposer sa foi à Paris avec quatre mille
cavaliers huguenots et deux fois plus de fantassins venus des Pays-Bas et
d’Allemagne.
— Allez donc le voir, le sentir, il est à Montfaucon,
m’a-t-il lancé en s’esclaffant.
Autour de nous tous se sont gobergés.
Le sort de Coligny n’inspire aucune pitié à ces hommes dont
beaucoup l’ont côtoyé dans les Conseils du roi.
Quant au souverain lui-même, il l’écoutait avec une
considération filiale, ne l’appelant – à la grande colère de ses frères
Henri d’Anjou et François d’Alençon – que “mon
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