Paris vaut bien une messe
Dieu, mais qui se souciait de ce
qu’avait enseigné le Christ ?
Montanari était sûr que Thorenc avait pris langue avec
d’autres « mal-contents », des « politiques » des
« machiavéliens » – ainsi se nommaient-ils – qui voulaient
la paix entre chrétiens, l’union de tous les sujets du royaume, puisque aussi
bien ils ne s’étaient pas entre-massacrés pour Dieu, mais pour l’ambition de
quelques princes.
Il fallait écouter, observer ces hommes-là, et, parmi eux,
un Bernard de Thorenc, un Michel de Polin, conseiller au parlement de Paris,
avait écrit dans l’un de ses rapports Vico Montanari. Ces mal-contents, ces
politiques pouvaient rallier un souverain qui serait d’abord homme de paix.
Pourquoi pas ce Henri de Navarre qui avait déjà plusieurs
fois changé de religion et qui avait fui le Louvre, le 4 février 1574,
craignant qu’on ne l’y égorgeât ou qu’on ne l’empoisonnât ?
TROISIÈME PARTIE
19.
Je me souviens du vent glacé qui, en ce premier jour de mars
1576, balayait le quai de l’École que Vico Montanari et moi arpentions comme
nous le faisions souvent.
La glace recouvrait les berges, s’accumulait en blocs
grisâtres contre les piles des ponts.
J’avais le cœur gelé.
J’avais retrouvé Montanari au coin de la place de l’École,
au bas de la rue de l’Arbre-Sec et du quai.
Il m’avait aussitôt pris par le bras et, comme il l’avait
étreint, j’avais deviné qu’il allait me parler d’Anne de Buisson.
Je m’étais aussitôt dégagé et m’étais mis à marcher d’un pas
plus rapide, lui rapportant ce que j’avais appris au Louvre et à l’hôtel
d’Espagne.
Diego de Sarmiento et Enguerrand de Mons, les pères Verdini
et Veron, le duc Henri de Guise, dit le Balafré, se rencontraient presque
chaque jour depuis la fuite de Henri de Navarre.
Sarmiento et Guise se montraient les plus inquiets. Si
Henri III n’avait pas de descendant mâle, Henri de Navarre deviendrait
l’héritier du trône de France.
Le père Verdini s’emportait. Dieu ne le permettrait
pas ! renchérissait le père Veron. Comment pardonnerait-il à Henri d’avoir
une nouvelle fois, dès qu’il s’était retrouvé parmi les siens, la Loire
traversée, abjuré la foi catholique et proclamé qu’il était huguenot,
protecteur de l’union de tous les huguenots du royaume ?
— Protecteur, avait répété Diego de Sarmiento, ainsi
que se nomme le prince d’Orange aux Pays-Bas. Croyez-vous que nous, Espagnols,
allons accepter cela ?
Henri de Guise avait dit que si le Roi Catholique, le grand
Philippe II, l’aidait dans l’entreprise – il y fallait des ducats
pour recruter des hommes : Suisses, mais bons catholiques ;
Allemands, mais ennemis jurés des luthériens et des calvinistes ; et
pourquoi pas des troupes espagnoles du duc d’Albe en provenance des
Pays-Bas –, alors lui, Henri de Guise, jurait de rapporter au Louvre le
corps de Henri de Navarre attaché sur un âne et saigné comme un goret. On
ferait de lui ce qu’on avait fait du corps de l’amiral de Coligny : on le
dépècerait et on pendrait ce qu’il en resterait au gibet de Montfaucon.
J’avais écouté, assis dans la pénombre ; la haine que
chacun de ces hommes exprimait était si grande que j’en avais frissonné.
Ceux-là appartenaient au camp des massacreurs. Enguerrand de
Mons, qui pourtant était l’un des plus proches conseillers de Henri III,
avait ajouté que le roi, malgré toutes les drogues qu’il prenait et celles
qu’il faisait administrer à son épouse, Louise de Lorraine, était bien
incapable d’engendrer un fils.
— À moins, avait-il ricané, que l’un de ses mignons,
Épernon ou Joyeuse, ne l’engrosse !
Ils avaient ricané.
— Mais ce miracle-là, Dieu ne le veut pas, n’est-ce
pas, mon père ? avait ajouté Diego de Sarmiento en se tournant vers
Verdini, qui, l’air offusqué, s’était signé.
De jour en jour, à écouter les conciliabules de Sarmiento et
du duc de Guise à l’hôtel d’Espagne, j’avais senti ainsi battre de plus en plus
vite le désir de guerre contre les huguenots.
Enguerrand de Mons racontait que Henri III s’y
ralliait, que la reine mère, Catherine, le poussait à prendre la tête d’une
armée pour aller traquer Henri et ses huguenots dans leurs provinces de
Guyenne, de Gascogne et du Béarn, à Montauban et à Nîmes, à La Rochelle, qu’il
fallait faire diligence si l’on
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