Paris vaut bien une messe
Il jette dans la Seine les malheureux qu’il décrète huguenots. Mon
parlement a condamné les deux malheureuses filles d’un procureur dont je
connais la religion, celle d’un catholique respectueux, a être brûlées en place
de Grève en les déclarant « hérétiques des plus obstinées et des plus
opiniâtres ». Les deux innocentes avaient voulu empêcher que l’on égorge
un artisan de leurs voisins. Vous connaissez l’usage…
Michel de Polin s’est interrompu, comme marquant une
hésitation, avant de continuer :
— On étrangle d’abord les condamnés avant de mettre le
feu au bûcher. Mais le peuple, comme fou, a réussi à arracher l’une des filles
au bourreau et l’a poussée vive dans les flammes. J’étais là au milieu de la
foule, Thorenc, j’ai entendu ses cris. Je ne les oublierai pas.
Michel de Polin avait quitté Paris avec le roi. Ils avaient
réussi à déjouer la surveillance des ligueurs. Le souverain était maintenant en
sécurité à Chartres, mais n’osait pas combattre Guise, aveuglé qu’il était par
les conseils de la reine mère, par la peur qu’il éprouvait d’être pris comme en
tenailles entre les huguenots de Henri de Navarre et les hommes de Henri de
Guise.
— Ceux-ci ont l’Espagne avec eux. Diego de Sarmiento
promet des troupes et des doublons. Depuis que la flotte de Philippe II,
la prétendue Invincible Armada, a été défaite par les Anglais, il lui faut plus
que jamais une France déchirée, vaincue par ses propres démons. Les ligueurs et
Henri de Guise sont entre ses mains. Il les paie. Dieu veut-Il cela ?
Michel de Polin a levé les bras.
— Qui peut le croire ? Ce n’est même pas l’intérêt
de l’Église…
Il s’était rendu à Rome, expliqua-t-il, pour dire, au nom de
bons catholiques de France, qu’il fallait que le souverain pontife aide ceux
qui, dans le royaume, voulaient la réunion de tous les croyants.
Il avait rencontré le pape Sixte Quint. Il lui avait assuré
que Henri de Navarre savait qu’il ne pourrait être sacré roi de France qu’en
abandonnant sa cause. Les huguenots les plus clairvoyants le savaient aussi et
s’en inquiétaient. Henri III s’en persuadait peu à peu, et cela le
rassurait, lui dont Henri de Navarre était l’héritier. Mais c’était au pape à
favoriser ce rapprochement, à empêcher que les ligueurs, les guisards, ces
massacreurs ne se masquent et ne se parent du nom de catholiques.
— Le pape m’a écouté. J’ai cru la partie gagnée. Mais
il avait près de lui un prêtre que vous connaissez, le père Verdini. C’est un
vieil homme, mais brûle en lui le feu de l’enfer. À peine avais-je cessé de
parler qu’il m’a accusé d’être l’un de ces faux apôtres, de ces judas, plus
retors que les Juifs, qui veulent que les catholiques mettent la tête sur le
billot et connaissent tous le sort de la reine Marie Stuart, décapitée par
l’hérétique Élisabeth. « Voilà ce qu’ils veulent en France, a répété
Verdini. Henri de Navarre sur le trône, et le sang des catholiques répandu dans
les rues. La hache huguenote frappant les cous innocents des serviteurs de
l’Église ! »
— Le père Verdini…, a murmuré Bernard de Thorenc. C’est
lui qui m’a appris ici – il a tendu le bras vers la chapelle dont on
apercevait la façade – les premières prières, qui m’a enseigné les
Évangiles, à qui je me suis confessé, que j’ai écouté plus que mon propre père…
— C’est l’homme de Sarmiento, a répliqué Michel de
Polin. Il croit que Philippe II est le bras armé de l’Église, le chevalier
de la foi. Il a eu des sanglots dans la voix quand il a évoqué la destruction
de l’Invincible Armada. Pour lui, tous ceux qui veulent la réunion des croyants
en France sont des « machiavélistes » – c’est ainsi qu’il nous
appelle – et, pis encore, des athéistes. Henri de Navarre, à l’entendre,
veut un royaume sans Dieu !
Michel de Polin est resté un long moment silencieux,
respirant bruyamment comme si on lui écrasait la poitrine.
— J’ai eu peur, a-t-il repris d’une voix étouffée. J’ai
pensé que le père Verdini allait ordonner aux spadassins espagnols qui le
gardent de me tuer avant que j’aie pu quitter Rome. Je me suis enfui et n’ai
changé de chevaux qu’une fois entré sur les terres du duc de Savoie, mais le
Castellaras de la Tour est ma première halte. Vico Montanari, qui sait ce que
vaut
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