Paris vaut bien une messe
s’est dressée, croisant les bras d’un geste
rapide, baissant la tête et parlant d’une voix sourde, sans regarder Michel de
Polin.
Les Espagnols avaient tué son frère, Robert de Buisson. Elle
avait vu les Suisses de Henri de Guise, ces massacreurs, égorger hommes, femmes
et enfants au n° 7 de la rue de l’Arbre-Sec, en ce jour de la
Saint-Barthélemy, un dimanche. Elle ne devait la vie qu’à Bernard de Thorenc.
C’est pour cette raison qu’elle l’avait épousé, puisqu’il le voulait et qu’elle
lui devait bien ça, non ? Et pourtant il avait été l’un de ces bons
gentilshommes catholiques, au service de Henri de Guise et du roi, qui avaient
tué à Coutras Guillaume de Thorenc, son propre frère, et l’avaient laissée
veuve.
Elle a serré les poings devant son visage.
— Mon fils, je ne veux pas qu’on me le prenne. Et je ne
veux pas non plus qu’il tue.
— Si nous réussissons…, a commencé Michel de Polin.
Mais il a soupiré comme si la fatigue l’avait tout à coup
gagné.
— Mais il faut que Bernard de Thorenc nous aide, a-t-il
repris.
Elle a secoué la tête et s’est bornée à répondre :
— La paix, c’est ici.
À cet instant, on a entendu les aboiements des chiens.
28.
Bernard de Thorenc se tenait au milieu des chiens qui se
jetaient en avant, tirant sur leurs laisses, essayant d’atteindre les cadavres
des trois sangliers qu’on avait jetés sur les dalles, à l’entrée du Castellaras
de la Tour.
Le sang, déjà noir, avait séché sur les soies longues et
rêches des bêtes mortes.
Écartant les chiens de la pointe de ses bottes, Bernard de
Thorenc s’est avancé et Michel de Polin a discerné cette longue balafre qui,
partant du bas de sa mâchoire, cisaillait le cou de Thorenc et s’enfonçait sous
le pourpoint, sans doute jusqu’à l’épaule. La peau était rouge et boursouflée.
Thorenc fit glisser son doigt le long de la cicatrice, puis
montra les sangliers.
— Quand les hommes deviennent des bêtes, dit-il, quand
ils se font la guerre, les bêtes sauvages envahissent à nouveau la terre. On ne
les chasse qu’une fois la paix revenue. Je chasse donc…
Il a pris le bras de Michel de Polin et l’a entraîné dans la
grand-salle.
On avait placé deux nouveaux troncs dans la cheminée et les flammes
jaillissant des braises les enveloppaient.
— La paix n’est pas revenue, a murmuré Michel de Polin.
Il s’est assis en face de Thorenc, devant la cheminée.
— Elle l’est ici…, a commencé par objecter Thorenc.
— Nul n’est en paix dans un royaume quand celui-ci est
encore en guerre. Vous le savez, Thorenc : les soldats, les massacreurs
violent et tuent qui ils veulent ; ils pillent, fracassent la tête des
enfants – il s’est tu comme pour laisser entendre les aboiements –
puis les jettent aux chiens.
Thorenc a placé sa main ouverte devant ses yeux comme s’il
se refusait à voir cette scène.
— Tous les jours, a poursuivi Polin, à chaque
carrefour, autour du Louvre, dans la rue de la Monnaye, où j’habite, j’entends
les prédicateurs qui appellent à tuer les hérétiques pour empêcher une
Saint-Barthélemy des catholiques. On s’en prend au roi, on crie :
« Allons quérir le sire Henri dans le Louvre ! » Les moines, les
prêtres sont armés. Ils ont pris le commandement des quartiers au nom de la
Sainte Ligue. Vous n’imaginez pas, Thorenc, ces troupes de quatre cents moines,
de huit cents étudiants brandissant tous leurs arquebuses. Quand le roi a fait
entrer les Suisses dans la ville pour y rétablir l’ordre, ils ont été attaqués,
encerclés. Dans chaque rue, on a amoncelé des barriques, des pavés, des sacs de
terre, et les Suisses ont été écharpés, tirés comme vous l’avez fait de vos
sangliers. Derrière chaque fenêtre était posté un arquebusier. C’est Henri de
Guise qui mène le bal contre le souverain. J’ai entendu les émeutiers crier
qu’il fallait « prendre ce bougre de roi » et qu’il fallait sans
lanterner mener M. de Guise à Reims !
Thorenc n’a pas bronché, la main devant les yeux, le buste
penché, le coude appuyé sur la cuisse.
— Voilà la paix qui règne à Paris, a repris Michel de
Polin. On tue et on tuera au nom de Dieu, et cette sotte populace sortie du
néant est échauffée comme un troupeau de taureaux que des prédicateurs
excitent. Henri de Guise la conduit là où il veut. Ce peuple a besoin de corps
à embrocher.
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