Perceval Le Gallois
au-dessus de moi. J’en fus tout étourdi et fort affligé, car je croyais bien n’en jamais pouvoir ressortir. Au surplus, ce chevalier me raillait et tentait de monter sur la mule et sur le cheval que j’avais. Or, il n’y réussit pas, et, en grand courroux et grand désespoir, il vint me délivrer de ma prison, puis s’y rejeta, me conseillant d’aller sur la montagne où se dressait la Colonne de Cuivre. Puis il se tut et je repartis, le laissant là où il était. C’est ainsi que je suis arrivé ici.
— Par la terre et par le feu ! s’écria la Demoiselle de la Cime, voilà qui est fâcheux ! Cher seigneur, il eût fallu tuer et mettre en pièces celui dont tu me parles ! Dieu t’en aurait récompensé ! Il a trompé tous ceux qu’il pouvait prendre à ses pièges, les dérobant ou les tuant. Il se tapit comme un voleur dans cette fosse et, quand un homme passe auprès de lui, il crie qu’il est prisonnier et il supplie qu’on le délivre. Alors, quand il est sorti, il tue ou il vole. Par le soleil et par la lune, par tous les astres du ciel, pourquoi n’as-tu pas tué cette bête malfaisante ! – Belle amie ! on m’a enseigné que la haine n’était pas bonne, et qu’il fallait savoir faire grâce à ceux qui avaient commis des fautes. – Ce n’est pas ce qu’aurait dit mon père ! »
On leur servit des fruits et du vin, puis ils allèrent se coucher. On avait dressé deux lits sous la tente. La Demoiselle de la Cime en occupa un, Perceval l’autre, et ils dormirent profondément toute la nuit jusqu’à ce que l’aurore émergeât des brumes.
Alors, Perceval se leva et s’habilla. La Demoiselle de la Cime s’était éveillée en même temps que lui. Elle lui dit : « Perceval, en quelle terre veux-tu aller ? – Douce amie, répondit-il, c’est à la cour du Roi Pêcheur, là où l’on peut voir la Lance qui saigne et la coupe d’émeraude qu’on nomme le Graal. – Seigneur ! s’exclama-t-elle, tu n’es pas au bout de tes peines ! La cour du Roi Pêcheur n’est pas loin d’ici, mais il ne suffit pas d’être le meilleur chevalier du monde pour y parvenir ! – En sais-tu le chemin ? » demanda le Gallois. En guise de réponse, elle se contenta d’appeler ses valets pour leur commander de seller le cheval de Perceval. Cela fait, elle se ravisa : « Je t’accompagnerai pour un bout de chemin », dit-elle. Et elle fit également préparer sa jument blanche. Perceval revêtit ses armes, et quand il fut prêt, il enfourcha son cheval et partit, suivi de la Demoiselle de la Cime. Ils dévalèrent tous deux la pente de la montagne, s’engagèrent dans une vallée étroite et remontèrent ensuite au sommet d’une colline. Là, la Demoiselle arrêta sa jument.
« Perceval, dit-elle, nous allons nous quitter ici. Je suis la fille de Merlin et d’une devineresse. Aussi puis-je te le prédire : tu iras à la cour du Roi Pêcheur et tu en tireras gloire et honneur. Mais je dois t’avertir, le temps n’en est pas encore venu. Va, Perceval, suis le chemin qui traverse cette forêt. C’est dans cette direction que tu dois aller car, en ce monde, le doigt de Dieu trace le chemin de chaque destinée. » Et, sans ajouter un mot, elle fit faire demi-tour à sa jument et disparut bientôt derrière un bosquet (39) .
12
La Vengeance de Perceval
Au sortir de la vallée s’étendait une de ces belles campagnes moirées de froment et d’avoine telles qu’on en voit autour des abbayes. Et Perceval qui, de longtemps, n’avait vu champs si fertiles ni si peuplés, se demandait en quel pays son cheval galopait avec autant d’entrain. Là-bas se dressait une superbe forteresse dont les remparts, bâtis en pierre plus blanche que neige fraîche un matin d’hiver, étaient munis de cinq tours solides. Flanquée de quatre tours jumelles toutes blanches dont les toitures d’ardoise fine étincelaient au soleil, la tour centrale était vermeille, et le Gallois, émerveillé, n’en croyait pas ses yeux. La mer battait la base des murailles.
Il franchit un pont qui enjambait la rivière là où celle-ci devenait plus large. Sur les rives, des pêcheurs guettaient les saumons, les bars et les esturgeons. À l’intérieur des murs se pressait une grande ville richement peuplée de chevaliers et de sergents, de bourgeois et de marchands à l’étal desquels abondaient les fourrures, les lainages rouges, les soieries bleues, les velours, les vaisselles d’or et
Weitere Kostenlose Bücher