Perceval Le Gallois
d’argent, ainsi que des coupes et maintes pièces d’orfèvrerie. Pullulaient aussi les marchands d’épices précieuses et chères, les changeurs, cloutiers, cordonniers, chaudronniers, forgerons…
Apercevant le château qui lui parut plaisant et bien tenu, Perceval pressa l’allure de son cheval et, après avoir passé le pont-levis, s’engagea sous un large portail et pénétra dans la cour. Des valets venus à sa rencontre l’aidèrent à descendre de son cheval, le débarrassèrent de sa lance et de son bouclier puis le menèrent dans une salle qui était vaste et richement décorée. Une jeune fille vint l’accueillir, qui était d’une grande beauté, de sorte qu’à sa vue un trouble infini pénétra Perceval. Elle était escortée de vingt chevaliers qui le saluèrent, le désarmèrent et le revêtirent d’un manteau de soie fourré d’hermine. « Par Dieu tout-puissant, murmura la jeune fille à l’une de ses suivantes, jamais je n’ai vu en ce monde un homme qui ressemblât davantage à Perceval, mon doux ami que j’aime tant, qui pour moi se mit en si grande peine, et qui me rendit mon domaine en triomphant de mes ennemis ! – Dame, répondit la suivante, je n’ai aucun doute quant à moi, c’est Perceval lui-même qui est devant nous ! »
Alors, la jeune fille prit le Gallois par la main et, le menant vers une riche courtepointe émaillée de rosaces d’argent, l’y fit asseoir à côté d’elle. Ne sachant plus où il en était, Perceval pria son hôtesse de lui révéler son nom et le nom de la ville où il se trouvait. « À Dieu ne plaise que je te le cache, seigneur, répondit-elle, sache que je me nomme Blodeuwen et que cette cité s’appelle Kaerbeli. » À ces mots, le chevalier changea de couleur. Il regarda plus attentivement la jeune fille assise à ses côtés, reconnut son visage clair, ses pommettes rouges et ses sourcils noirs, ainsi que sa luxuriante chevelure d’or. « Blodeuwen, douce amie ! s’écria-t-il en tremblant d’émotion. Je suis Perceval, fils du comte Evrawc ! »
En entendant cela, Blodeuwen ne put se retenir ; elle se précipita dans les bras de son ami, le cœur bondissant de joie, et tous les gens présents dans la salle dévisagèrent alors le nouveau venu et le reconnurent aisément. Et si leur surprise fut extrême, leur joie le fut bien davantage encore. Ainsi, par la ville, en quelques instants, la nouvelle se répandit-elle : Perceval, qui avait sauvé Kaerbeli du désastre et de la servitude, était de retour auprès de sa douce amie Blodeuwen. Dames et jeunes filles accoururent en foule le saluer, les cloches se mirent à sonner, l’encens brûla de toutes parts, et l’allégresse n’eut de cesse que la lune ne se fût montrée dans le ciel. Alors, tous se retirèrent et laissèrent tête à tête les deux amants.
Perceval croyait rêver. Il ne pouvait croire que devant lui se tenait en personne son amie, la douce Blodeuwen, plus belle que fleur de pommier au printemps, celle dont l’image l’avait tant tourmenté tandis qu’il contemplait les trois gouttes de sang sur la neige et le manège du corbeau. Et Blodeuwen eut beau lui faire servir maints mets délicats, Perceval n’y goûta guère, tant la présence de son amie le bouleversait. Et, l’heure venue, la joie des retrouvailles leur abrégea le sommeil et la nuit.
Le lendemain, le Gallois dit à Blodeuwen : « Douce amie, lors de mon arrivée, hier au soir, je n’ai pas reconnu la cité. Tout y est si neuf et si beau qu’en passant la porte, je ne savais pas que j’entrais dans les domaines de mon amie ! À mon départ, tout était tellement désolé, presque en ruine, tellement pauvre… ! Et voici que je retrouve tours et remparts neufs, la contrée peuplée de chevaliers et de marchands riches de grands biens, ainsi que de dames et de demoiselles plus belles que je n’en pus voir nulle part ailleurs ! Quel changement ! Jamais je n’aurais pu imaginer telle splendeur ni telle richesse !
— Tout cela est ton œuvre, Perceval, répliqua Blodeuwen. C’est toi qui as délivré la cité que menaçaient mes ennemis, toi qui m’as sauvée de l’odieux Clamadeu qui voulait m’épouser de force ! » Or, brusquement, Blodeuwen se tut ; des larmes jaillirent de ses yeux. « Qu’as-tu donc ? » s’étonna Perceval. La jeune fille se redressa. « J’ai, seigneur, que tu n’as pas voulu m’épouser. Faute d’y être disposé, tu
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