Perceval Le Gallois
du Château Mortel se trouvait déjà loin, et peu lui importaient les paroles de son neveu. Il était du reste bien résolu à ne plus jamais s’aventurer dans les parages. Quant à Perceval, il réclama par signes qu’on vînt le chercher et retourna à la forteresse. La dame et les gens du château s’empressèrent à sa rencontre avec des transports de joie. La dame lui demanda comment il se portait, s’inquiéta s’il était blessé. « Non, dame, Dieu merci, répondit-il. À présent, vous n’avez rien à craindre : jamais plus le Roi du Château Mortel ne viendra menacer tes domaines. »
Il demeura cette nuit-là au château et y fut fêté comme jamais on ne fêta prince ni héros. Néanmoins, le lendemain matin, nonobstant les pleurs de chacun et l’insistance de la dame, il réclama ses armes et son cheval et repartit triste et désemparé, doutant plus que jamais de revenir un jour à la cour du Roi Pêcheur, sur le chemin qui longeait la mer.
Il chevaucha sans arrêt jusqu’à l’heure où le soleil brille au plus haut du ciel. La chaleur alors devint accablante, et Perceval eut beau ralentir l’allure, il se sentit peu à peu gagné par le sommeil. Et, dans sa somnolence, il ne s’aperçut pas que le cheval avait pris un sentier qui l’éloignait du rivage. Pendant un long moment, il ne prêta nulle attention à ce qui l’entourait ; puis une certaine fraîcheur le réveilla, et il se vit soudain dans une forêt dense et sombre où le cheval semblait toujours préférer les sentiers les plus hérissés de ronces et encombrés d’arbustes de toutes sortes. Il tenta bien de se réveiller tout à fait mais, à chaque instant, une torpeur insurmontable l’envahissait. Aussi décida-t-il enfin de s’arrêter. Il sauta à terre et, laissant son cheval brouter l’herbe du sous-bois, s’allongea au pied d’un arbre et s’endormit profondément.
Quand il se réveilla, le jour déclinait. Debout d’un bond, il chercha son cheval, mais celui-ci ne se trouvait pas auprès de lui. Il l’appela, se mit à courir en tous sens, mais aucun hennissement ne lui fit écho. Que s’était-il passé pendant qu’il dormait ? Le désespoir saisit à nouveau Perceval qui ne savait que faire dans cette forêt qu’il ne connaissait pas. En dépit de la fatigue qui pesait lourdement sur ses épaules et le faisait tituber, il résolut de suivre le sentier. Marchant péniblement parmi les buissons épineux qui l’égratignaient, obliquant tantôt à droite, tantôt à gauche, il finit par découvrir une voie plus large qui le conduisit jusqu’à un étang tout près duquel se dressait une habitation d’aspect lamentable.
L’approche lui confirma sa première impression. Tout était délabré, on eût dit ravagé par un ouragan, démantelé, disjoint. Perceval passa une porte voûtée et se retrouva dans une cour mal pavée, pleine de ronces, au centre de laquelle chancelait un logis en aussi piètre état que le reste. La porte en était ouverte et donnait sur une salle au plafond lézardé et aux murs suintants d’humidité. Un homme aux cheveux gris s’y trouvait assis, dans le fond, sur un siège apparemment bancal. Or, à côté de cet homme, le Gallois crut reconnaître Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie.
Au comble de la stupéfaction, Perceval s’avança au milieu de la salle et, en le voyant, l’homme qui ressemblait à Gauvain se leva et se précipita vers lui. « Perceval ! s’écria-t-il, quel bonheur de te retrouver ! » Le Gallois voulut répondre, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Gauvain le prit par le bras et le fit asseoir près de lui sur une grossière banquette de bois. En fait, tout respirait là le dénuement et la misère. De sorte qu’il fallut à Perceval un bon moment pour reprendre ses esprits. « Ah ! dit-il enfin, quelle surprise ! Que fais-tu là, Gauvain, et où sommes-nous ? »
Pour lors, l’homme aux cheveux gris se leva d’un air noble et grave. « Perceval, dit-il, tu es ici chez moi, dans tout ce qui reste des biens que jadis possédait ta famille. Je suis ton oncle, Perceval, et suis heureux de t’accueillir. Mais ne t’attends pas à être reçu dans un palais digne d’un roi, car ici tout n’est que ruine et misère depuis que ton père est mort, victime des agissements du traître Le Hellin qui nous a dérobé tous nos biens et qui nous harcèle sans trêve afin de supprimer tout témoignage de sa forfaiture. – Mon oncle !
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