Perceval Le Gallois
conversations reprirent leur train. Alors, Perceval dit au Pêcheur qu’il partirait très tôt le lendemain matin à la recherche du chemin de la Gaste Forêt afin de retrouver sa mère et de savoir si elle était morte ou vivante.
Or, sur ces entrefaites, apparurent par la même petite porte, au-delà de laquelle se devinait l’ombre d’une chambre basse, deux nouveaux valets, tenant chacun en son poing un chandelier d’or fin serti de pierres précieuses, et où brûlaient au moins dix cierges qui flamboyaient avec tant d’éclat que Perceval en fut tout ébloui. Derrière les deux hommes marchait une jeune fille vêtue de velours noir. Des cheveux dorés lui ondoyaient sur les épaules, et elle portait en ses mains un tailloir d’argent. Juste sur ses talons se présenta une seconde jeune fille à la beauté plus remarquable encore. Sa chevelure encore plus blonde jouait sur sa robe d’un blanc immaculé, et ses paumes arboraient, tel un objet rare et précieux, une coupe d’émeraude. Aussitôt qu’elle fut entrée avec cette coupe, une si grande clarté se répandit dans la salle que les cierges pâlirent, de même que pâlissent, au lever du soleil, la lune ainsi que les étoiles. Et de même qu’était passée la lance entre les foyers et le lit, de même passèrent les jeunes filles, lesquelles, aussitôt parvenues au bout de la salle, revinrent sur leurs pas et, à leur tour, disparurent elles aussi par l’issue d’où elles avaient surgi. Et Perceval qui, de tous ses yeux, avait regardé le cortège, était dévoré par la curiosité. Mais, fidèle aux leçons de Gornemant, il n’eut garde de poser la moindre question, de peur d’indisposer son hôte.
Alors, celui-ci commanda de présenter l’eau et de mettre les nappes. Les serviteurs s’empressèrent et, pendant que le Pêcheur et Perceval se lavaient les mains dans une eau chaude à point, deux valets apportèrent une large table d’ivoire, toute d’une pièce, qu’ils tinrent un instant devant le seigneur et son hôte, tandis que deux de leurs semblables installaient deux tréteaux faits d’un bois d’ébène plus dur et plus solide que de la pierre de volcan. Une fois la table posée sur ceux-ci, une nappe vint la recouvrir et l’on servit, en guise de premier mets, un cuissot de cerf assaisonné au poivre et cuit dans sa graisse, avant de verser du vin clair dans des coupes d’or. Un valet trancha la venaison sur un tailloir d’argent et plaça les morceaux sur de larges tranches de pain.
Alors réapparut dans la salle la jeune fille aux cheveux blonds qui, vêtue de sa longue robe blanche, portait la coupe d’émeraude dans ses mains. À nouveau, elle traversa la salle qui en fut tout inondée de lumière, puis elle repartit par où elle était venue. Perceval, de plus en plus intrigué par ce qu’il voyait, se refusa néanmoins à demander au service de qui était affectée la coupe merveilleuse. Le souvenir de Gornemant l’obsédait, lui interdisant de poser la moindre question avant qu’on ne l’interrogeât lui-même. Et l’étonnement du jeune Gallois fut à son comble quand il constata que la jeune fille parcourait la salle avec sa coupe lumineuse chaque fois qu’était servi un nouveau plat.
Le Pêcheur et lui ne dînaient pas seuls dans la salle. Aux autres tables s’étaient installés les chevaliers qui composaient la suite du maître des lieux. Et près de chacune d’elles se tenaient quatre valets qui servaient les convives avec empressement : deux d’entre eux, à genoux, découpaient les viandes, tandis que leurs deux compagnons veillaient au boire et au manger. Tous s’acquittaient avec zèle de leur tâche, et nul convive n’eût pu se plaindre de manquer de rien. Quatre chariots servaient à véhiculer de précieuses coupes d’or remplies du meilleur vin. On roulait ceux-ci le long des quatre murs, et quatre chevaliers déposaient les coupes sur les tables. Et l’on puisait aussi dans de petits récipients d’or les condiments qui convenaient à chaque plat : bouillon salé, poivres, sauces où avaient macéré des baies sauvages. Ainsi chacun des convives, qu’il eût un petit ou un gros appétit, trouvait de quoi le satisfaire ; tous étaient servis avec une parfaite courtoisie. « Ce Pêcheur doit être très riche, pensa Perceval, pour faire montre d’une pareille générosité, d’une telle magnificence ! Tout à l’heure, la jeune fille qui apportait l’épée l’a salué
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