Perceval Le Gallois
s’emparer de la pierre qui prodigue autant d’or qu’on en veut. Voilà, seigneur, je t’ai dit tout ce que tu m’avais demandé de te révéler. – N’as-tu plus rien d’autre à me dire ? demanda Perceval. – Non, répondit l’homme noir, et c’est là pure vérité. – Dans ce cas, dit Perceval, je ne vois pas pourquoi tu vivrais plus longtemps. Tu as été un fléau pour tous les habitants de cette région, tu les as volés et massacrés sans pitié. Je vais faire en sorte que tu ne puisses plus jamais nuire à personne. » Et, sans hésiter, Perceval le tua en lui faisant voler la tête.
La jeune fille qui avait parlé la première et qui lui avait révélé le sort qui l’attendait, lui dit alors : « Seigneur, si tu étais pauvre en venant ici, désormais, grâce au trésor du Noir Arrogant que tu viens de tuer, tu seras riche et puissant. Il possédait des terres abondantes en moissons et en gibiers de toutes sortes. Ces terres t’appartiennent, tu peux en disposer à ta guise. Au demeurant, n’as-tu pas remarqué quelles belles et avenantes filles se trouvent dans cette maison ? Tu pourras leur faire la cour et choisir celle qui te plaira le plus. – Je te remercie, jeune fille, répondit Perceval, mais je ne suis pas venu de mon pays pour prendre des richesses ni pour choisir femme. Au surplus, je vois ici des jeunes gens aimables : que chacune de vous prenne celui qu’elle considère comme le meilleur. Je ne veux aucun des biens de ce pays, je n’en ai pas besoin. Partagez-les entre vous et soyez heureux, tel est mon souhait le plus cher. »
Le lendemain, Perceval prit donc congé de la jeune fille et se dirigea tout droit vers la cour des enfants du Roi des Souffrances. En y entrant, il n’aperçut que des femmes qui, assises dans une grande salle, se lamentaient. En le voyant, elles se levèrent et, non contentes de lui souhaiter la bienvenue, l’invitèrent à s’asseoir parmi elles. Mais il n’osa leur demander pourquoi elles se lamentaient. Pourtant, il se souvenait avec amertume du soir où il se trouvait chez le Roi Pêcheur et où tous les habitants de Corbénic se lamentaient de même en voyant passer la Lance qui saigne. Un si grand trouble le saisit qu’il n’entendait même pas ce que les femmes lui disaient.
Il était là déjà depuis un certain temps quand il vit entrer dans la salle un cheval avec un cadavre en travers de la selle. L’une des femmes se leva, s’empara du cadavre et l’emporta jusqu’à une cuve qui se trouvait sur un feu de bois et dans laquelle bouillait un liquide. Elle y plongea le cadavre avant de lui appliquer un onguent qu’elle tirait d’un pot. Au bout d’un moment, Perceval vit le corps bouger et se redresser. L’homme qu’il avait vu mort sortit de la cuve, le salua, lui fit joyeux visage et s’en fut comme si de rien n’était. Peu après, deux cadavres arrivèrent de même, à dos de cheval, et la femme les ranima à leur tour en leur appliquant le même traitement qu’au premier. Puis, tout comme celui-ci, les deux hommes ressuscités saluèrent Perceval et s’en furent comme si de rien n’était.
Cette fois, Perceval se décida. « Femmes, dit-il, j’ai déjà vu des choses surprenantes, mais celle-ci dépasse tout entendement. Ces hommes étaient morts, et vous les avez ranimés ! Je ne puis croire en un tel prodige ! – Ce n’est pas difficile, répondit l’une des femmes. Chaque jour, le dragon tue ces jeunes gens, et chaque jour nous les ressuscitons. Mais sache que, demain, ces jeunes gens seront de nouveau victimes du dragon. » Perceval n’insista pas car, il le vit bien, aucune des femmes ne lui donnerait d’explications satisfaisantes. Il se contenta de hocher la tête et, quand elles l’invitèrent à partager leur repas, il accepta bien volontiers sans plus poser aucune question. Quand vint l’heure du sommeil, on le mena dans une chambre où avait été dressé un lit confortable, et il s’y endormit bientôt, harassé de fatigue et ne songeant qu’à récupérer toutes ses forces pour le lendemain.
Il se réveilla de bon matin et il s’apprêtait à partir quand il vit les trois jeunes gens qui s’équipaient et se préparaient à enfourcher leurs chevaux. Il les aborda et leur dit : « Seigneurs, pour l’amour de celles que vous aimez le plus au monde, je vous prie d’écouter ma prière : puis-je vous accompagner ? – Non pas, répondirent-ils, car s’il arrivait que tu
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