Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Petite histoire de l’Afrique

Petite histoire de l’Afrique

Titel: Petite histoire de l’Afrique Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Catherine Coquery-Vidrovitch
Vom Netzwerk:
était dominant ; par exemple dans les pays du sahel ou chez les Touaregs, cavaliers du désert dont les haratin , les cultivateurs des oasis, étaient les esclaves. Non seulement l’inégalité entre lignages était accentuée, mais il existait aussi une inégalité interne face aux chefs et princesses, qui vivaient entourés d’une foule de dépendants et d’esclaves à leur service.
    Or, à tous les niveaux, du haut au bas de l’échelle sociale, la même organisation primait pour ce qui relevait de la subsistance : les nobles comme les petites gens se trouvaient à la tête d’exploitations rurales dont les principes d’exploitation étaient similaires. Seules différaient, bien entendu, leur taille et la répartition des récoltes, dont les lignages dépendants remettaient une partie (le tribut) à leurs maîtres. Ces inégalités sociales anciennes furent parfois entérinées et figées par les colonisateurs ; ce fut le cas au Rwanda, où l’administration belge décida en 1940 d’enregistrer comme Tutsi tous les propriétaires de plus de dix têtes de bétail — appartenance désormais entérinée sur leur carte d’identité 6  ; ce mythe d’une origine noble avait été volontiers confirmé,voire élaboré, par les historiens locaux d’origine tutsie, qui avaient été privilégiés par le système d’éducation colonial.
    Tout cela incite à interroger un fait jusqu’à présent assez négligé : celui des rapports « interraciaux » antérieurs au racisme blanc/noir institutionnalisé par les Européens. Celui-ci est un héritage si prégnant qu’il eut tendance à neutraliser la possibilité d’analyse des inégalités internes préalables. Or il existait, dans les sociétés africaines comme ailleurs, des distinctions impératives de statut, des prescriptions endogamiques, des interdictions de frayer entre catégories différentes. On ne peut donc faire l’économie d’un phénomène qui a existé dans nombre de sociétés : leur « racialisation ». Les sociétés africaines connurent comme les autres des représentations identitaires différenciées et des formes de racisme, non pas nécessairement fondé sur la couleur, mais sur une accumulation de préjugés distinguant, selon les lieux et les cas, les « civilisés » (les chefs, les érudits, les musulmans) des « sauvages » (les étrangers, les exclus, les inférieurs).
    De ce point de vue, les concepts d’ethnie ou de lignage, qui fournissent une interprétation essentiellement biologique des liens de parenté, furent une façon de « noyer le poisson ». Des « rapports de race » (partiellement masqués par le mythe de la consanguinité, ce qui était loin d’être toujours le cas) existèrent au sein d’un même lignage, comme entre familles et castes différentes, voire concurrentes. Aucune des identités collectives contrastées actuelles (« Arabes » versus « Africains » au Soudan ou àZanzibar, où ils ne se distinguent souvent ni par la couleur ni par la religion ; ou, au Rwanda et au Burundi, Tutsi versus Hutu, de langue et de culture communes) ne fut ni entièrement inventée par l’épisode colonial, ni seulement léguée par l’histoire plus ancienne. La façon de penser collectivement le soi et l’autre fut en Afrique, comme partout ailleurs, remaniée de génération en génération, héritée en partie de matériaux très anciens, mais toujours combinés à de nouvelles inventions. Il en va ainsi des grandes peurs qui ont parfois abouti à des massacres, voire à un génocide : des souvenirs historiques, relatifs par exemple à des razzias esclavagistes subies par les ancêtres d’un groupe, peuvent être réélaborés par l’imaginaire populaire en mémoire collective. Celle-ci, en transformant l’appartenance au groupe en enjeu victimaire, est alors susceptible d’engendrer des accès de violences. Ce sont ces violences qui deviennent génératrices de haines raciales justificatives, plutôt que le contraire. Il ne s’agit en aucun cas de nier le rôle de la colonisation, qui joua souvent un rôle de catalyseur, mais qui ne doit néanmoins pas être transformée en deus ex machina manipulateur et unilatéral. Les chefs et les intellectuels locaux jouèrent de leur côté, avant et après la phase coloniale, un rôle parfois décisif dans le déclenchement des dérives récentes.
    Le rôle essentiel des femmes
    Si les chefs produisaient plus, c’est qu’ils possédaient

Weitere Kostenlose Bücher