Prophétie
moi-même désormais. En fait, je disais ce qui, à mon avis, pourrait le mieux la réconforter.
« Tu es compréhensif, Matthew », murmura-t-elle. Nous dégustâmes le repas en silence. Elle se tapota les lèvres avec sa serviette, puis me regarda d’un air dubitatif. « J’aurais un autre service à te demander. J’hésite un peu, après tout ce que tu as déjà fait pour moi…
— Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir.
— J’ai réfléchi à l’idée de Roger à propos d’un hôpital pour les indigents. Il avait tout juste commencé à travailler à ce projet quand il est mort, mais il avait déjà dressé une liste de souscripteurs. Accepterais-tu de prendre sa suite ? C’était un projet qui lui tenait tellement à cœur… Ce serait une façon d’honorer sa mémoire.
— D’accord, Dorothy. Mais pas tout de suite. Pas avant que ce dossier soit clos.
— Tu es fatigué, je le vois bien. Je ne devrais pas te harceler. Mais cela le garderait en vie, en quelque sorte.
— Un monument dédié à son souvenir et tout à fait approprié. Nous pourrions l’appeler l’hôpital Roger-Elliard, dis-je en souriant.
— Soit. » Elle secoua la tête. « Je contemple cette frise, étudie les animaux de bois qui regardent entre les arbres. Nous leur avions donné des noms, tu sais : Peter le Cerf, Paul le Lapin, et Simon le Cheval.
— C’est une belle pièce.
— Il faudrait que je fasse réparer le coin correctement. Je l’emmènerai à Bristol, si j’y retourne. Roger est tellement présent dans cet appartement… » Elle s’interrompit brusquement, baissa la tête et se mit à sangloter doucement. Je me levai et contournai la table pourm’approcher d’elle. Hésitant, je posai les mains sur ses épaules. « Allons, allons ! » murmurai-je. Je me rendis soudain compte que c’était la première fois que je la tenais, geste que j’avais jadis souhaité faire par-dessus tout.
Elle tendit le bras et me prit la main. Un sourire apparut sur son visage baigné de larmes. « Tu as été si bon, Matthew. Que ferais-je sans toi ? »
Ses paroles et le contact de sa main me firent fortement tressaillir. Je dus me retenir de l’étreindre pour de bon et de l’embrasser. Ce désir dut se lire sur mon visage car elle lâcha ma main. Je m’écartai.
« Je ne suis pas moi-même, déclara-t-elle d’un ton serein. Je suis soudain épuisée. Ç’a été une rude journée. Cela t’ennuierait-il que j’aille me coucher maintenant ?
— Bien sûr que non.
— Ne t’en fais pas. Je vais prendre garde.
— Très bien. Je suis probablement trop prudent.
— Viens dîner après l’enterrement. Samuel sera présent. La dernière fois que tu l’as vu c’était encore un gamin.
— D’accord. Je… Je… devrais partir, bredouillai-je.
— Fort bien. Voilà, c’est terminé maintenant, dit-elle en s’essuyant le visage. Mais j’ai encore du mal à me maîtriser… J’ai besoin de temps », ajouta-t-elle, l’air grave.
Une fois dehors, je m’appuyai contre le mur de pierre et respirai profondément. Je comprenais à présent ce que je m’étais dissimulé : le veuvage de Dorothy avait ranimé mon ancienne flamme. Je repensai à la chaleur de ses épaules, au contact de sa main dans la mienne. Puis je revis Roger, gisant dans la neige. « Que Dieu me pardonne ! » murmurai-je à part moi.
J’aperçus alors une petite silhouette mince de femme, à l’autre bout de la cour, près de la porte verrouillée du bâtiment où se trouvait mon cabinet. Stupéfait de reconnaître Tamasin, je me précipitai vers elle, ma robe bouffant autour de mes jambes. Elle était recroquevillée contre la porte et je découvris, horrifié, qu’elle avait le visage enflé, tuméfié, qu’un œil était presque fermé, que sa robe était déchirée et son bonnet de travers. Elle me fixa, toute tremblante.
« Tamasin, m’écriai-je, qui vous a fait ça, Dieu du ciel ? Est-ce… ? » L’espace d’un horrible instant, je crus que c’était peut-être Barak.
« J’étais venue chercher Jack, balbutia-t-elle d’une voix pâteuse, à cause de ses lèvres enflées. Nous nous sommes disputés et il est ressorti. Je ne supportais pas l’idée de rester seule dans cetappartement. J’avais toujours l’impression qu’une personne se trouvait derrière la porte et je croyais entendre quelqu’un respirer sur le palier. Il fallait que je sorte. J’avais l’intention
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