Prophétie
À l’aide de gestes et de chuchotements, Russell répartit ses hommes parmi les arbres. Autour de nous, les oiseaux chantaient à tue-tête. Vu l’apparente compétence militaire de Russell et le nombre d’hommes armés à notre disposition, j’osais espérer que l’on pouvait gagner la partie.
« Que peut bien faire Goddard à l’intérieur ? me chuchota Harsnet.
— Quoi qu’il fasse, nul doute qu’il se trouve maintenant à notre merci, affirma Barak.
— On le saura avant la fin de la journée, déclara Harsnet d’une voix lugubre.
— Si on l’attrape, Cranmer veut qu’on le tue, n’est-ce pas ? demandai-je. C’est bien ce qu’il voulait dire lorsqu’il a indiqué que l’affaire devait être réglée ce soir.
— Vous croyez qu’il a tort ?
— Cela viole mes principes.
— Cela ne me plaît pas non plus, étant moi aussi un homme de loi. Mais pourrions-nous le faire passer en jugement, révéler que l’archevêque et les Seymour ont organisé leur propre chasse àl’homme ? En outre, il s’agit d’une créature impure, que l’on doit détruire dans le noir. »
Je jetai un coup d’œil vers l’endroit où sir Thomas, Russell et messire Goodridge, le magistrat, étaient plongés dans une conversation à voix basse. « Nous sommes tous des pions dans un jeu politique, messire Harsnet, dis-je d’un ton soudain passionné.
— Mais qui déplace les pions ? D’aucuns pensent que c’est le roi, mais moi, je dis que Dieu manœuvre ses serviteurs pour accomplir ses grandioses desseins.
— La stratégie divine… Bien des gens en font les frais, Gregory. »
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2 . Kinesworth a pour racine kine , pluriel archaïque de cow , qui signifie « vache » en anglais. (N.d.T.)
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R ussell se dirigeait silencieusement vers nous . « Nous sommes prêts à pénétrer dans la maison, dit-il. Sir Thomas, Barak, le sergent Shardlake, moi-même et six autres hommes. Dix hommes en tout. On se rue sur la maison, on défonce la porte, ensuite deux groupes de deux fouillent le premier étage et deux groupes de trois le rez-de-chaussée. Les autres hommes resteront dans les bois, prêts à l’intercepter s’il cherche à fuir », conclut-il en jetant un regard circulaire.
Sir Thomas fit son apparition. « Je vais mener la charge », annonça-t-il. Après une profonde inspiration, il sortit du bois et se dirigea vers le manoir en prenant bien garde à ne pas faire de bruit. Nous le suivîmes. Sir Thomas atteignit la pelouse et s’enfonça dans le fouillis de hautes herbes. Nous sursautâmes tous au moment où un grand tumulte se produisit à ses pieds, un vol de formes blanches jaillissant de l’herbe. Sir Thomas poussa un cri, tandis que derrière lui résonnait un crissement d’épées tirées de leur fourreau. « Ce sont des oies ! s’esclaffa Barak. Un troupeau d’oies ! » Une vingtaine de volatiles en colère partirent à tire-d’aile au-dessus de l’herbe en criaillant.
Sir Thomas s’immobilisa, le regard fixé sur le manoir. Rien ne bougea, mais ce fier-à-bras de courtisan se trouvait à découvert et parut soudain très vulnérable.
« Nous courons un grand danger, dis-je à Barak. Ces oies ont été placées là pour avertir de l’arrivée d’inconnus. C’est une méthode très fréquente à la campagne. Il sait à présent que nous sommes là, poursuivis-je en regardant les fenêtres sombres aux volets fermés. Nous avons perdu l’avantage de la surprise. »
Russell sortit du bois pour se joindre à son maître en nous faisant le geste de le suivre. Nous courûmes tous à travers l’herbe en direction de la porte d’entrée, protégée par un portique dont le bois pourrissait, mais la porte elle-même avait l’air assez solide.
« Enfonce-la d’un coup de pied ! ordonna sir Thomas à un jeune homme très costaud, qui s’avança et lança sa jambe bottée en arrière pour prendre son élan. Avant qu’il puisse flanquer son coup de pied,Barak se précipita, saisit la poignée, et la porte pivota en souplesse sur des gonds bien huilés.
« Il nous facilite la tâche », observa-t-il.
Nous nous regroupâmes sur le seuil, jetant un coup d’œil dans la maison. À l’aube, les volets fermés, l’intérieur était plongé dans la pénombre. Je distinguai des lames de parquet parsemées de vieux joncs desséchés et plusieurs meubles lourds et poussiéreux. Nous bousculant pour passer, sir Thomas pénétra dans la maison. Il ne
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