Prophétie
manque pas de courage, pensai-je. Nous lui emboîtâmes le pas, tout en jetant des regards craintifs en tout sens.
Nous nous retrouvâmes dans un vaste et ancien vestibule au fond duquel se dressait un grand paravent en bois. De chaque côté du paravent, deux escaliers montaient vers une galerie au premier étage où s’ouvraient plusieurs portes. Derrière chacun des deux escaliers partait un corridor menant à d’autres pièces.
Sir Thomas se dirigea vers le lourd paravent de bois, pointa son épée dans l’espace laissé entre le mur et le paravent, puis le renversa. Il heurta bruyamment le sol, soulevant de grands nuages de poussière et révélant une vieille tapisserie murale défraîchie. Le vacarme résonna dans toute la demeure, mais, dès que l’écho s’estompa, un profond silence régna de nouveau, brisé seulement par les quintes de toux provoquées par la poussière.
Russell lança une série d’ordres. « Vous deux, montez par cet escalier. Et vous deux, prenez l’autre. Je vais passer par la porte de gauche avec Brown.
— Messire Shardlake et moi passerons par la droite, dit Barak.
— Fort bien. Messire Harsnet, sir Thomas, tenez-vous prêts à intercepter le moindre rat qui tente de s’échapper. »
Harsnet hocha simplement la tête. Sir Thomas sourit et porta la main à son épée. « Je suis prêt à lui régler son compte. » Je compris qu’il avait l’intention de le tuer. Goddard n’allait pas sortir vivant de là.
L’épée au clair, les hommes partirent en courant dans la direction qui leur avait été assignée. Des pas martelèrent les marches. Je suivis Barak vers le passage de droite. « J’ai vu une faible lumière par ici, murmura-t-il. Je vais lui mettre la main au collet », ajouta-t-il en brandissant son épée de son bras indemne.
Il avait raison. Comme nous longions un couloir poussiéreux, dont les fenêtres étaient fermées, j’aperçus tout au bout une porte entrouverte. Une faible lumière rougeoyante vacillait à l’intérieur de la pièce, où le feu devait être allumé car de la chaleur en sortait. Il y eut ensuite un cliquetis de verre qui se brise et un second bruit se fit entendre dans la pièce, un léger sifflement continu, tel celui d’une vipère dérangée.
« Qu’est-ce que ça peut bien être, Dieu du ciel ? chuchotai-je en fixant Barak, les yeux écarquillés.
— Aucune idée. » Il hésita, puis continua d’avancer d’un pas ferme, l’épée tendue devant lui. Parvenu à la porte, il tendit l’oreille. Le sifflement s’intensifiait. Tournant la tête pour me jeter un coup d’œil, il poussa la porte. Nous découvrîmes alors une scène véritablement infernale.
La pièce était grande. Il s’agissait sans doute de la chambre principale. Un grand feu brûlait joyeusement dans une vaste cheminée, produisant une chaleur étouffante. Juste en face, un fauteuil à haut dossier, très orné, du genre de ceux qu’utilisent les hauts dignitaires, constituait le seul meuble. Un homme y était installé, vêtu de la soutane noire du moine bénédictin, le capuchon relevé sur la tête. Le visage à pommettes saillantes, marqué d’un gros grain de beauté sur un côté du long nez et d’une balafre rouge sur la joue, était celui d’un homme d’un certain âge qui nous fixait du regard, le reflet des flammes dansant dans ses yeux. Goddard nous dévisageait, les lèvres ouvertes en un effrayant rictus de triomphe. Un bras reposait sur l’accoudoir, l’autre pendait sur le côté. Sous le bras gisait une lampe brisée dont la chute avait dû produire le cliquetis que nous avions entendu. La bougie brûlait toujours, au-dessus d’une mince traînée d’une subtance ressemblant à de la cendre. La cendre menait à un feu qui, sifflant et pétillant, courait vivement le long d’une traînée de poudre sombre vers deux énormes barriques placées sous la fenêtre aux volets clos. Comme le phénomène se passait à l’autre bout de la pièce, nous risquions de ne pouvoir arriver sur place avant que toute la poudre soit consumée. Je notai que les volets n’étaient pas complètement fermés.
Pour une fois, je réagis plus vite que Barak, apparemment pétrifié par la vue de la traînée de poudre à canon. Lui attrapant le bras, je le fis pivoter sur lui-même en hurlant : « Fichons le camp d’ici ! »
Nous nous précipitâmes hors de la pièce et renfilâmes le couloir. Sir Thomas, Russsell et Harsnet nous
Weitere Kostenlose Bücher