Prophétie
autrement personne n’en aurait réchappé. Peu lui importait le nombre de morts, ajouta-t-il d’un ton aigre. « Ah ! voici le docteur… »
Sir Thomas et Russell, accompagnés d’un homme portant une robe de médecin, avançaient parmi les blessés allongés dans l’herbe.
« On a dit aux hommes que Goddard était un alchimiste, reprit Harsnet, qu’on voulait l’arrêter parce qu’il menait des expériences interdites et qu’il a fait sauter la maison par accident. La moitié du village est venu voir le spectacle, mais les hommes de sir Thomas les obligent à rester de l’autre côté du bois.
— Pourquoi Goddard se serait-il tué, après avoir atteint l’apogée de son grandiose dessein ? demandai-je. S’il pensait déclencher Armagédon, il aurait dû avoir envie d’en être témoin.
— Qui sait ce qu’il avait en tête ? Je pense qu’il était possédé, en fin de compte, messire Shardlake. Et, à présent, le diable a recueilli son âme. »
La voix de Harsnet semblait toujours assourdie. J’espérais que mes oreilles n’avaient pas été irrémédiablement endommagées. Épuisé, je m’appuyai sur un coude. « Voudriez-vous que je vous apporte un peu d’eau ? demanda-t-il.
— Avec plaisir. » Quand il fut parti, je m’allongeai dans l’herbe, et la douleur qui se propagea dans tout mon dos me fit gémir. Puis, m’enveloppant dans la couverture, je me redressai et contemplai la maison en flammes. Il y eut soudain un grand fracas, suivi d’un jaillissement d’étincelles, au moment où le reste du toit s’effondra.
« Ce n’est pas la fin, dis-je à Barak.
— Mais nous l’avons vu. C’était bien Goddard avec son grain de beauté sur le nez et la balafre sur la joue, à l’endroit où Orr a arraché la fausse barbe. Il a tendu un piège et, grâce aux oies et à notre bruyante effraction, il a eu tout son temps pour allumer la mèche afin de nous expédier dans l’au-delà.
— Mais il n’a pas réussi son coup, puisqu’on est tous sortis à temps.
— Il s’en est fallu de peu. »
Je me passai la main sur le visage, la tête me tournant quelque peu. « Tu as vu la fenêtre au-dessus des barils de poudre ? Le volet était entrouvert. Quelqu’un aurait pu se trouver dans la pièce et allumer la mèche avant de s’enfuir. Et si tout était réglé pour que la personne qui avait vu Goddard ait le temps de sortir de la pièce et de témoigner que le tueur était mort ?
— Mais il était assis là et nous fixait, un rictus sur les lèvres. Nous l’avons vu… Non, ne vous levez pas !
— Et si Goddard n’était pas le tueur ? Si les sept coupes ne constituaient qu’une étape dans une mise en scène de plus grande envergure, le meurtrier passant tranquillement à la phase suivante puisqu’on le croira mort ? » Je me relevai en chancelant. Barak saisit la couverture.
« Allongez-vous. Vous êtes resté toute une heure inconscient. » Je me remis quand même sur pied dans l’herbe et interpellai les hommes de sir Thomas, ma voix me parvenant comme si elle montait du fond de l’eau. Barak tira de nouveau sur ma couverture. « Sir Thomas sera furieux si vous lui dites que finalement nous n’avons toujours pas retrouvé le meurtrier. Il est déjà d’assez mauvais poil ! »
Mais je me dégageai comme sir Thomas et Russell approchaient, accompagnés du médecin. Sir Thomas avait l’air plus humble que d’habitude.
« Eh bien, Shardlake, votre chasse à l’homme se termine de façon très spectaculaire. Vous vous en êtes tiré indemne… Alors que l’un de mes hommes va probablement mourir, ajouta-t-il en fixant sur moi un regard accusateur.
— Vous m’en voyez désolé. Toutefois, je ne suis pas du tout sûr queGoddard soit notre tueur. À mon avis, il y avait quelqu’un d’autre dans la pièce, qui a pu s’échapper… Après l’explosion, l’un de vos hommes, poursuivis-je en m’adressant à Russell, aurait-il vu ou entendu quelque chose dans les bois ?
— Vous avez l’esprit chaviré », déclara sir Thomas d’un ton furieux, et le médecin, un homme mince d’un certain âge à la longue barbe, planta sur moi un regard pénétrant. Mais Russell hocha lentement la tête.
« En effet, juste après l’explosion, l’un de mes hommes a vu une forme se déplacer dans les bois, et ç’a lui a bien semblé être une forme humaine. Mais le chaos régnait, on n’y voyait presque plus rien, on était tous
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