Quelque chose en nous de Michel Berger
; pour “Walking Through the Big Apple”, il fallait une chanteuse puissante pour donner la réplique à Bill, et j’ai contacté Lynn Carey, de Mama Lion, à la poitrine généreuse qui avait fait fantasmer ma génération en tant que “Pet of the Month” de Penthouse (numéro de décembre 1972) ; et puis la choriste beaucoup plus mélodique de Leonard Cohen, Jennifer Warnes, qui chantait également avec Jackson Browne, dont Michel a adoré les paroles qu’elle a écrites pour “Living Under the Gun”, où elle se décrit comme une femme seule et inquiète au milieu de cette jungle new-yorkaise dans laquelle il est facile de se sentir isolée et où le danger est toujours au coin d’une rue ou au fond d’un couloir.
» L’interprète le plus prestigieux à l’époque était Bill Withers, avec lequel j’avais noué un bon contact au fil de plusieurs rencontres. Mais il était signé chez Columbia, le principal rival de Warner. Il a fallu de nombreuses tractations entre avocats des deux géants de l’industrie pour obtenir l’autorisation nécessaire à sa participation au projet de Michel. Heureusement, Bill avait entendu l’un des morceaux de l’album, et tenait absolument à le chanter. Or, quand il a une idée en tête, il est très dur de lui dire non, car il sait être très convaincant et déterminé. Son style a beaucoup d’âme, de puissance et d’émotion, tout en n’étant pas black américain classique. C’était un véritable original. Ce fut un très beau coup de lui faire chanter “Apple Pie”, l’arrivée en ville d’un jeune type ambitieux, prêt à faire tomber les cœurs et exigeant la part du gâteau qu’il estime lui être due rien que par sa présence dans la Grosse Pomme. »
Michel ramène ensuite les multipistes à Paris,toujours au studio Gang, pour y rajouter les parties de claviers de Georges Rodi et de saxophone de Patrick Bourgoin. Il espérait avoir la participation de Jean-Luc Ponty et de Gerry Mulligan, mais les agendas ne l’ont pas permis. Fin février, les Michel sont à Londres au studio EMI d’Abbey Road pour enregistrer les cordes qui devaient finir l’habillage des quatre morceaux instrumentaux et de deux chansons. Puis Berger repart retrouver notre narrateur.
« Michel est de retour à Los Angeles le 19 mars, d’abord au studio Salty Dog de Van Nuys, puis à nouveau à Sunset Sounds pour enregistrer les cuivres favoris de Quincy Jones. Pendant le mixage, Michel passe beaucoup de temps au téléphone avec France, enceinte, et en fin de grossesse. Il part la rejoindre le 29 mars. Je termine les mix avec Warren Dewey et finis l’album le 4 avril, deux jours après la naissance de Raphaël. »
Malheureusement Warner, puis Elektra, qui avait distribué un album de Véronique quelques années plus tôt, ne sont pas intéressés : ils trouvent l’ensemble trop diversifié musicalement, pas assez cohérent, invendable. Il faudra un an et demi pour parvenir enfin, le 16 novembre 1982, à en obtenir la sortie chez Atlantic, grâce à l’influence de Nesuhi Ertegun qui en avait été le fondateur avec son frère Ahmet. Survient alors la question du choix du single, capital pour obtenir les passages en radio décisifs dans la jungle des formatages américains. Sa variété rendait l’album très difficile à marketer, et il fallait trouver le titre qui constituerait la meilleure entrée possible dans un des différents marchés potentiels, comme s’en souvient Philippe Rault. « Le premier titre envisagé fut “Apple Pie”, chanté par Bill Withers, qu’un certain nombre de stations rock et r’n’b se sont mises à diffuser spontanément. Puis les stations adultcontemporary , ciblées vers un public plus adulte et au son plus doux, s’emparèrent de “Innocent Eyes”, interprété par Rosanne Cash. Aïe, aïe ! deux artistes de Columbia, pour lesquels les droits “single” n’avaient pas été négociés. Déterminée à ne pas interférer avec la carrière en plein boom de Bill Withers, l’interprète de “Ain’t No Sunshine”, “Use Me”, “Lean on Me” et “Just the Two of Us”, Columbia n’autorise, après moult tracas, que l’exploitation de “Innocent Eyes”. »
Mais un temps précieux a été perdu et nous sommes au plus fort de l’influence des services de promotion indépendants chargés sur tout le territoire américain de supplier, charmer, séduire, convaincre, et le plus souvent graisser la patte, des
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