Quelque chose en nous de Michel Berger

nous avions rencontré Seymour Morgensten dans un petit théâtre de Santa Monica Boulevard. Puis Annie Fargue, la manageuse de Michel Polnareff, très branchée dans les milieux de la comédie musicale aux USA, avait intercédé en sa faveur. Mais la connexion qui déclencha vraiment les choses fut Tim Rice, partenaire de longue haleine d’Andrew Lloyd Webber, librettiste des comédies musicales les plus célèbres : Jesus Christ Superstar, Evita, Chess, plus tard Aladdin et Le Roi lion . D’un seul coup, la crédibilité du projet prit un essor majeur, rien que sur son nom. Et Michel a l’intelligence de l’impliquer financièrement dans le projet en partageant les droits à un tiers chacun pour Tim, Luc et lui, là où normalement il n’aurait eu droit qu’à la moitié de la part de Luc. Entre-temps, Michel avait décidé de suivre l’exemple des Misérables et de séduire d’abord les Anglais, en enregistrant pour une maison anglaise, puis en créant le spectacle dans le West End de Londres, pariant qu’un succès là-bas déclencherait l’intérêt des producteurs new-yorkais. Tim Rice était connecté avec Sony UK, et entraîne dans l’aventure Muff Winwood, ancien bassiste du Spencer Davis Group (“Keep On Running”, “I’m a Man”, “Gimme Some Lovin”), grand frère de Steve, et devenu directeur artistique de Sony à Londres. Un album de quatorze titres est décidé, que Tim Rice intitule Tycoon . »
    Lors d’un dîner avec France Gall, Luc Plamondon et Michel, Murray Head, qui tenait le rôle de Judas dans Jesus Christ Superstar, puis triompha dans Chess, où il est l’Américain (et interprète le tube mondial « One Night in Bangkok »), leur conseille de plutôt keep it small et rester off the West End et off Broadway . « Mais ils voyaient grand, voulaient un truc énorme,et c’est sûr qu’avec Tim Rice il ne pouvait pas en être autrement, c’est un démiurge. Et j’ai vu que dès que je me suis mis à parler de modestie, France m’a fusillé du regard. J’ai compris que je venais de perdre l’affaire. »
    L’accouchement de Tycoon va se révéler un chemin de croix, qu’a vécu Philippe Rault. « Le premier titre enregistré fut “Le monde est stone”, devenu “Home” en anglais. Michel tenait à le faire chanter par Jevetta Steele, la voix hypnotique de “Calling You” dans la bande sonore de Bagdad Café, qui était devenu un improbable tube international. Le 6 septembre 1990, cette chanteuse black de Minneapolis nous rejoint au Power Station de New York. Elle avait une voix formidable, mais en studio, elle se sent mal à l’aise avec cette mélodie, et peut-être aussi avec cet entourage d’étrangers qu’elle rencontrait pour la première fois. La prise de voix s’en trouvait d’autant plus bouleversée qu’elle nous apprend qu’en toutes circonstances elle refuse de réécouter le son de sa propre voix. Le résultat était mi-figue, mi-raisin, augurant mal du projet. Michel rentre à Paris dépité. Le 19 novembre, Muff organise alors une rencontre entre Michel et Cyndi Lauper à New York. Tim Rice a modifié les paroles de “Home” pour en faire finalement “The World Is Stone”. Mais si Cyndi Lauper est partante, elle n’accepte personne d’autre que ses propres musiciens en studio et exige de se charger elle-même de la réalisation, excluant tout avis de Michel, de Tim et de Muff. En janvier 1991, elle fait entendre le résultat au Hit Factory à Muff Winwood, enfin soulagé : c’est un succès assuré. »
    De son côté, ce dernier propose Matt et Luke Goss, les deux frères très gays du groupe Bros, qui cartonne en Angleterre pour lui avec « I Owe You Nothing », « Drop the Boy », « Cat Among Pigeons »et « Too Much ». Ils choisissent « A Little Damage Done », à savoir « Quand on arrive en ville ». Le titre, à la Michael Jackson de Thriller, est mis en boîte au studio du Palais des Congrès avec l’équipe de Michel, Janik Top et Serge Pérathoner, auxquels se joignent les deux Goss, respectivement à la guitare et à la batterie.
    « Cependant, reprend Rault, le morceau qui obsède Michel et Tim Rice depuis le début, c’est “Le blues du businessman”, “I Would Love to Change the World”, qui va devenir le mythe de Sisyphe de Tycoon . Michel tient à obtenir Joe Cocker, qui décline l’invitation, à sa grande déception. Tim Rice essaye alors de convaincre Rod Stewart, que Michel connaît bien pour l’avoir invité