Quelque chose en nous de Michel Berger
que Véronique Sanson est frappée du même virus obsessionnel, mononucléose maison, langue commune, comme si l’un avait déteint sur l’autre (« Un peu plus de noir », « Une nuit sur son épaule », « Ma musique s’en va », « Vancouver », « Comment crois-tu que la musique vienne », « Harmonies », « J’ai la musique au moins », « Celui qui n’essaie pas », « Salsa », « How Many Lies »). C’est tout ce qu’il leur restera, comme elle le chante dans « Je serai là ». Même Frank Zappa, pareillement obsédé, comme le Grateful Dead, Pete Townshend et Chuck Berry, tous commentateurs de leur propre artisanat, ne procèdent pas d’une telle ontologie, auto-exploration permanente de ce qu’il fait comme découlant de ce qu’il est, processus identitaire et identifiant, ouroboros s’autofécondant pour s’enivrer de la danse éternelle du samsara à défaut de s’en libérer.
Cela posé, qui ne changera jamais, revenons à ce premier succès. Tout est là. La syncope marquée, avec ce martèlement et ce tempo funky volontairement bancal, suspendu, exactement comme entendu chez l’Elton John de Tumbleweed Connection, en droite ligne de La Nouvelle-Orléans via Dr. John et Leon Russell. Le reste de l’arrangement est à l’avenant : poussées de sax charnu, pêches de cuivres, traits de piano repris par les cordes, pont de percussions, soulignement de guitare slide dans le final. Le style Berger évoluera au milieu des années quatre-vingt avec l’utilisation massive des synthétiseurs et des programmations, une basse monstrueuse, la recherche du gros son, mais les fondamentaux sont en place.
En face B de ce 45 tours, « Le secret », magnifique chanson à la très belle mélodie, avec une partie de piano plus proche du McCartney liturgique de l’époque « Let It Be »/« Maybe I’m Amazed » et un arrangement à la Procol Harum, prégnante d’un sens lourd mais non-dit (grossesse, adultère, homosexualité, transgression, homicide ?) comme une pénitence, à l’instar du « Ode to Billy Joe » de Bobbie Gentry que Joe Dassin a adapté en « Marie-Jeanne » et que Dylan a parodié à travers sa « Clothes Line Saga ».
L’album Chansons pour une fan suit début 1974. La chanson titulaire à la mélodie délicate préfigure, comme « La petite prière », les berceuses confortantes que Michel va rapidement se mettre à composer pour France Gall, qui apporte sa voix à un couplet de l’étendu et prospectif, étonnamment réflectif, « Mon fils rira du rock’n’roll », premier précipité d’une émulsion de dix-huit ans. C’est ce morceau qui interpelle Jean-Michel Desjeunes, lequel convertit à son tour Pierre Lescure (tous deux présentent les journaux de la 2). Ce dernier le contacte et entame avec lui une conversation animée, qui ne s’interrompra plus.
« À moitié, à demi, pas du tout », trop retenu, comme son titre (comme son auteur ?), succède à « Écoute la musique » sur un rythme de samba douce, avec moult percussions brésiliennes, mais n’en renouvelle pas le succès, bien que Michel la chantât chez Guy Lux. Si l’une des thématiques en est toujours l’absence et sa conjuration (« La chanson d’adieu », « Le bonheur à tout prix »), l’autre concerne l’aliénation, l’incommunicabilité inhérente, quoique paradoxale, au monde de la communication, particulièrement dans le très joli « Peut-être toi, peut-être moi ». Avec « Tarzan », écrit pour le film de Gérard Jourd’hui Bons baisers de Tarzan, on assiste à un retour amusé et amusant– tout est relatif – vers « La girafe », esquisse adolescente destinée à Bourvil, preuve que Michel Berger, produit du métier parisien, aurait pu, si le cœur lui en avait dit et s’il s’était un poil moins pris au sérieux, cultiver l’ironie salutaire et dévastatrice du Randy Newman enfoui en lui.
Malgré une invitation dans un « Numéro 1 » des Carpentier où il chante « Mon fils rira du rock’n’roll » en direct avec Claude Engel à la guitare, Graziella et Nicole Darde dans les chœurs, l’album marchera à peine moins mal que le précédent. De Bosson tient bon. « Ça ne vend pas, mais Europe nous suit. Je voulais continuer avec Michel de toute façon. En partie pour prouver à Daniel Filipacchi que je pouvais y arriver. Michel et lui sont deux êtres d’exception qui font partie de ces gens très très rares qui te rendent moins nul. Quand Michel te regardait dans
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