Qui étaient nos ancêtres ?
ne leur rendant pas toujours en farine l’équivalent intégral de leur apport en grains. D’autant que le meunier devait prélever le péage dû pour l’utilisation du moulin seigneurial, péage levé évidemment en nature, grain ou farine, et qu’il était parfois tenu d’aller chercher le grain à domicile et d’y rapporter la farine, ce dont il s’acquittait par l’intermédiaire d’employés, nommés selon les régions chasse-manée, chasse-mulet ou chasse-moute…
Qu’il soit à eau ou à vent (parfois plus modestement à âne ou à bras), chaque seigneurie, comme chaque abbaye ou prieuré, avait son moulin. Assez vite, pourtant, il avait échappé au seigneur qui, ses revenus ayant baissé, avait choisi soit de le vendre, soit de le délaisser selon un bail à ferme, moyennant un loyer confortable, tant en argent qu’en nature (boisseaux de froment ou de seigle). Si, sous la Révolution, nombre de moulins furent saisis et vendus au titre des biens nationaux, ils connaîtront encore un bon siècle de prospérité, avant que les minoteries industrielles ne leur portent un coup fatal.
Les familles de meuniers, généralement aisées, se succédaient dans leur moulin sur plusieurs générations, tout en s’alliant presque toujours à celles des moulins voisins. En Lauragais, les moulins à vent, aux capacités sans doute un peu plus modestes que celles de leurs homologues à eau, étaient contrôlés par de véritables dynasties qui se les partageaient et se les transmettaient, comme les Armengaud, Bonnet, Calvet, Caunes, Montfraux, Plantade… Le métier, partout, s’exerçait de père en fils…
Signalons enfin l’existence de moulins, spécialisés :
– les moulins à papier, aux mains des papetiers, qui se multiplièrent à partir du XVI e siècle et produisirent un support infiniment moins cher que l’ancien parchemin, fabriqué à l’origine avec de vieux chiffons écrasés ;
– le moulin à tan, qui écrasait l’écorce de chêne à l’intention des tanneurs ;
– le moulin à foulon, écrasant et apprêtant les draps en les foulant dans une eau alcaline argileuse, et d’autres encore, comme les moulins à poudre ou à garance…
L’univers de la seigneurie est complet. Tout y est concentré, jusqu’au lieu de culte, si important pour nos ancêtres. La seigneurie intègre une église ou une chapelle, dont le seigneur recrute et nomme le desservant. On commence à mieux comprendre pourquoi et comment l’horizon de nos ancêtres peut nous sembler si réduit…
Quand les « manants » ne pouvaient « déguerpir » :
la superposition des « lofts »
Le système est si parfait qu’à aucun moment nos ancêtres n’éprouvent la nécessité de s’éloigner de cet univers, ce qu’ils ne sont d’ailleurs guère tentés de faire compte tenu de l’insécurité ambiante. De plus – et c’est le revers de la médaille –, ils perdraient alors la terre qu’ils tiennent de leur seigneur et qui est leur instrument de survie. De son côté, le seigneur, s’il décide de céder ou de vendre ses terres, cède par la même occasion les hommes qui les cultivent. On dit souvent que « l’air rend serf », ce qui signifie que du statut du lieu dépend la condition de ceux qui l’habitent. Nos ancêtres sont asservis, ils sont destinés à rester sur le sol et à y demeurer (en latin manere) : ils sont des manants ; leur famille est la mainie ou le manage, à l’origine de notre ménage.
La tentation de partir existe évidemment, surtout lorsque le seigneur – et c’est souvent le cas – se montre trop exigeant. Beaucoup ont envie de guerpir , c’est-à-dire d’abandonner leur poste. Mais là encore, tout a été prévu, et le seigneur les attend au tournant : il a droit de « suite et de poursuite » sur l’homme qui s’aventure à quitter la seigneurie. Qui déguerpit (c’est là l’origine de notre terme) se verra donc traqué sans pitié, et malheur au fuyard qui sera rattrapé. Il le paiera cher, d’un bras, d’une main, plus généralement d’un pied – ce pied par lequel il a transgressé la loi et dont on l’amputera symboliquement – ou parfois de sa vie, sauf à avoir réussi à se placer sous la protection de Dieu, dans une église ou au pied d’une croix.
Pourquoi autant de croix ?
La croix, qui apparaît dès la plus haute Antiquité, est un des symboles les plus anciens et les plus universels. À la base de tous les
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