Qui étaient nos ancêtres ?
L’atmosphère du canon de la messe, moment essentiel où s’accomplit le mystère de la transmutation du pain en corps vivant du Christ ressuscité, impressionne d’autant plus que rien n’est vu, puisque le célébrant tourne le dos aux fidèles, et que rien n’est entendu, puisque les paroles sont alors prononcées à voix basse. Le latin, enfin, langue savante comprise des seuls lettrés, achève de conférer à la messe et à la religion leur essence sacrée. Le sermon et le prône du prêtre, prononcés du haut de la chaire et répercutés par l’abat-son, sont les seuls moments accessibles à l’assistance, et cela d’autant plus qu’ils sont volontiers prononcés en patois.
Voilà pourquoi et comment la religion commande, règle et rythme tout, pourquoi nos ancêtres, craignant par-dessus tout la mort en état de péché ou un quelconque châtiment concocté par le curé, ne sauraient envisager de ne pas respecter les temps de jeûne ou d’abstinence. Voilà comment ils ont bien du mal à résister à leur curé, y compris lorsqu’il leur interdira, au début du siècle, de voter pour les hommes du « Petit père Combes » qui, après l’affaire Dreyfus, oseront attaquer les bases de la fille aînée de l’Église.
Une foule d’intermédiaires :
Jiminy Cricket et les saints
Mais Dieu et ses ministres ne sont pas seuls. Ils sont secondés par une foule d’êtres qui peuplent littéralement l’univers de nos ancêtres.
Tout individu – on l’a aujourd’hui un peu oublié – est en effet pourvu d’un double, d’une conscience, d’un complice, d’un Jiminy Cricket officiel, à savoir son ange gardien. C’est lui qui aide à démêler le bien du mal, à reconnaître et à suivre la voie de Dieu en renonçant à la tentation proposée par Satan, le Malin, l’infâme… Et ce « bon ange gardien » n’est que le premier d’une longue série d’amis et de protecteurs : les autres anges et les saints, tous les saints, – ils sont innombrables ! –, rangés derrière saint Pierre, le patron du Paradis, derrière les apôtres, près de la Vierge Marie.
Ces milliers de saints sont d’autant plus populaires qu’ils sont sympathiques : ils ne sont que d’anciens hommes, avec leurs défauts et leurs faiblesses, dont nos ancêtres ont parfaitement connaissance et qu’ils apprécient : le scepticisme de Thomas, qui n’a cru que ce qu’il a vu, la lâcheté de Pierre, qui a renié son maître aux heures dangereuses, l’immoralité de Madeleine, l’ancienne prostituée repentie…
« Devoir une fière chandelle » et « pleurer comme une Madeleine »
Ces deux expressions que nous employons couramment sont à l’origine directement liées à la religion.
Éclairés par les flammes du feu dans l’âtre, nos ancêtres utilisaient souvent des lampes à huile, le plus souvent de noix (parfois de choux), et consommaient fort peu de chandelles, fabriquées alors par des chandeliers avec du suif, autrement dit de la graisse de bœuf ou de mouton. Ne parlons pas des bougies, appelées à leur apparition « chandelles de cire de Bougie », et faites de cette cire fine que l’on fabriquait dans la cité mauresque de Bougie. Elle consistait en une cire d’abeille, plus fine que celle couramment utilisée par les ciriers ou ciergiers pour faire leurs cierges, dont clercs et curés faisaient une consommation immodérée, du cierge pascal à ceux de l’autel.
Si nos ancêtres consommaient peu de chandelles pour s’éclairer, ils en consommaient en revanche énormément aux fins religieuses, et n’hésitaient pas à se priver, aussi bien pour avoir leur chandelle de la Chandeleur, bénite ce jour-là par le prêtre et qu’ils conserveraient l’année durant pour l’allumer en des occasions précises, que pour en offrir une en guise d’action de grâces, à la statue du saint qui avait entendu leur prière et l’avait exaucée. C’était en ces circonstances qu’ils lui « devaient une chandelle » et, si possible, la plus grande et belle possible, proportionnée à leur gratitude en même temps que destinée à impressionner le voisin, autrement dit, une… « fière chandelle ».
Pleurer comme une Madeleine se dit en référence à la femme citée par l’Évangile de saint Luc : une « pécheresse publique », autrement dit une prostituée, qui se jeta en pleurant aux pieds de Jésus qui lui donna son pardon. Ce personnage a souvent été identifié
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