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Qui ose vaincra

Qui ose vaincra

Titel: Qui ose vaincra Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul Bonnecarrère
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une civière. Alors le sous-lieutenant sort de la poche de sa chemise un paquet de Senor Service, porte une cigarette à ses lèvres, l’allume et, voluptueusement, aspire une longue bouffée. Sa cigarette n’est pas terminée quand il aperçoit, progressant avec précaution, la première vague des Allemands. Ils sont plus de trois cents.
    En 1938, Roger de la Grandière, à la suite d’une dissension avec son père, quitte en Anjou le château familial. Il emporte toutes ses économies, gagne Marseille, dépose sans la compter sa fortune sur le comptoir des Messageries maritimes, et déclare au préposé, estomaqué :
    « Établissez-moi un passage pour cette somme, le plus loin possible.
    — Quelle est la somme ? questionne l’employé, en contemplant les billets froissés jetés épars devant lui.
    — Comment voulez-vous que je le sache ? réplique La Grandière. Vous n’avez qu’à compter, vous verrez bien. »
    Après un haussement d’épaules, l’homme compte, entasse, avant de répondre : « Vous avez suffisamment pour vous payer un billet jusqu’à Tahiti. Il vous restera 462
    francs et 30 centimes. Un de nos navires appareille dans quatre jours.
    — C’est parfait. Établissez le passage. »
    Roger de la Grandière va passer un an à Tahiti. Tout ce qu’on sait sur son séjour, c’est qu’entre autres choses il y pêche le requin.
    On le retrouve au Havre le 20 juillet 1940. Il cherche à passer en Angleterre, se fait arrêter par les Allemands. Il se montre d’une telle arrogance et d’une telle agressivité qu’il parvient – performance rarissime à l’époque – à se faire condamner à mort. Il s’évade, gagne l’Algérie, cherche à rejoindre Gibraltar. Les vichystes l’arrêtent à la frontière du Maroc. Il adopte la même attitude qu’à l’égard des Allemands. La police de Pétain le brutalise à un tel point qu’il gagne sa prison d’Alger avec une jambe brisée et la mâchoire fracturée. La procédure traîne et La Grandière reste séquestré près d’un an, puis une nouvelle fois c’est le procès. Devant le tribunal, il vocifère, insulte, menace, méprise. À nouveau il est condamné à mort. Trois jours avant la date prévue pour son exécution, un lieutenant-colonel vichyste lui apporte à signer son recours en grâce. La Grandière le déchire en petits morceaux qu’il jette à la figure de l’officier supérieur. Le surlendemain il s’évade. Cette fois il parvient à gagner le Maroc, Gibraltar, l’Angleterre où il arrive en août 1943 ; il rejoint l’armée gaulliste et, compte tenu de ses différents diplômes, il est instantanément promu au grade de sous-lieutenant. Pendant trois mois il se tient tranquille, puis, de nouveau, il fait parler de lui.
    Il était courant, pour des raisons évidentes, que les officiers aussi bien que les hommes changent leur nom pour servir dans les rangs de la France libre. Un bureau spécial avait été créé à cet effet. Il suffisait d’aller y déclarer son identité et de déposer un nom de guerre. Le lieutenant Roger de la Grandière s’y présente.
    « Je suis Roger de la Grandière, j’aimerais servir sous un pseudonyme.
    — Très bien, lieutenant, réplique, indifférent, le sergent chargé des enregistrements. Sous quel nom désirez-vous figurer ?
    — Abraham Levy.
    — Lieutenant, vous êtes sérieux ?
    — Vous êtes antisémite, mon vieux ? Je crains que vous n’ayez choisi le mauvais camp. »
    Le sergent est gêné. Il note l’étrange requête sur un registre.
    Convocation le lendemain du lieutenant de la Grandière chez le général Le Gentilhomme commandant en chef les forces terrestres en Grande-Bretagne. Le général adopte d’entrée un paternalisme bon enfant.
    « La Grandière, mon vieux, je connais votre père, votre famille. À quoi rime cette plaisanterie ?
    — Je ne comprends pas, mon général. Si j’avais désiré m’appeler Dupont, je ne serais pas devant vous aujourd’hui. Je trouve pratique de m’appeler Abraham Levy. Ça sonne bien. Et puis, depuis mon arrivée, j’ai remarqué que dans les bureaux les juifs avaient toutes les meilleures places. Il y a plus de trois mois que j’ai demandé ma mutation aux parachutistes, elle reste sans réponse. Alors, tant qu’à rester à Londres, autant m’appeler Levy et être considéré. »
    Le général Le Gentilhomme change de ton.
    « Suffit, La Grandière. Nous ne sommes pas au cirque. Changez de nom si bon vous semble,

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