Qui ose vaincra
quand ce sera le moment, et personne n’aura à me le payer.
—Ah ! mais vous êtes bien des mules, c’est maintenant le moment, nom de Dieu. »
L’homme à la pipe intervient calmement :
« Réfléchis un peu, Eugène. Les Boches sont encore là, y peuvent passer et nous voir. Qu’est-ce qu’ils penseraient en nous voyant boire du Champagne à 9 heures du matin ? »
Eugène se rassoit, vaincu par l’argument. Tous les regards se dirigent vers la porte qui vient de s’ouvrir.
Le jeune Yves fait une entrée timide, gêné par le nombre des occupants et le silence qui s’est fait brusquement.
C’est la première fois qu’il vient au café et sa présence insolite suscite la curiosité. Mal à l’aise, le gamin se dirige vers Maurizur. Il voudrait être naturel, mais il bafouille, rougissant : « M’sieur Eugène, le grand-père voudrait vous voir.
— En v’là une affaire, mon gars, c’est pas la peine de faire une tête de mariée le soir de ses noces pour me dire ça. Qu’est-ce qu’y me veut, le père Lorris ? »
Sous les rires, le jeune garçon devient écarlate. Il ment
« Je sais point.
— Dis-lui que je viendrai dans la soirée en rentrant.
— Faut venir tout de suite, m’sieur Eugène, c’est pressé. »
Une étincelle passe dans l’esprit de Maurizur, il comprend brusquement qu’il se passe une chose importante. Pourtant, par réflexe, il ne hausse pas le ton.
« C’est la vache qui va mettre bas, je parierais.
— C’est ça, explique le gamin, trop vite.
— T’as ton vélo ?
— Oui.
— C’est bon, on y va. »
L’homme et l’enfant roulent en silence jusqu’au chemin vicinal qui conduit à Saint-Jean-Brevelay. Alors, en quelques coups de pédales, Maurizur rejoint le jeune garçon.
« Dis-moi, Yves, je sais aussi bien que toi qu’il n’y a pas une bête en état de vêler à la Petite Métairie. Alors, maintenant qu’on est seuls, tu vas me dire ce que me veut le vieux.
— J’ai promis de rien dire, m’sieur Eugène.
— Devant les autres, mais à moi tout seul… »
Le jeune garçon n’y tient plus. Il s’arrête, descend de son vélo et prend un air de conspirateur. Après avoir jeté autour de lui un inutile regard circulaire, il chuchote : « On a des parachutistes plein la ferme.
— Vingt dieux !
Des Anglais ?
— Des Français.
— Tu te fous de moi ?
— Vous les verrez dans cinq minutes, m’sieur Eugène. »
Quand Maurizur pénètre dans la ferme, il reste un moment figé sur le pas de la porte. Son regard va de l’un à l’autre des trois parachutistes comme s’il voulait se persuader qu’il ne rêve pas. Enfin, il articule :
« Nom de Dieu, et l’autre con qui voulait pas sortir son Champagne ! »
À quelques kilomètres de là, sur la rive opposée de la Claie, le lieutenant Henri Déplanté se terre avec ses six hommes. Le stick Déplanté, largué du second Stirling, a atterri sans dommage : les parachutistes se sont regroupés sans difficulté, les radios et le matériel sont intacts. Mais l’erreur de largage a été énorme, près de douze kilomètres, et le lieutenant Déplanté, comme Marienne, ignore où il se trouve. Son groupe comprend trois radios : Paulin, Charbonnier et Bally ; un sous-officier, l’adjudant Chilou ; un caporal, Pams.
À l’orée d’un bois, les six parachutistes sont parfaitement camouflés, il faudrait être sur eux pour les découvrir. Pams a sauté avec une cage accrochée à son cou ; elle contient trois pigeons voyageurs destinés à assurer la liaison en cas de défaillance ou de destruction des émetteurs. À l’embarquement, au camp de Fairford, son inséparable copain Robert Crœnne, malgré sa rage de n’être pas de la première vague, lui avait apporté un paquet soigneusement ficelé.
« À ouvrir dans l’avion, vieux, avait-il dit simplement, et à bientôt. Retiens-moi une chambre avec salle de bain et vue sur la mer à Carnac. Et laisse-nous quelques filles !
— Pour la chambre, c’est d’accord », avait répliqué Pams en souriant.
Dans l’avion, il avait constaté que le paquet contenait une boîte de petits pois et un mot : « Avec les pigeons et quelques lardons, vous allez vous régaler ! »
Accroupi dans son buisson, Pams verse dans la cage une nouvelle poignée de graines.
« Arrête de gaver ces bestioles, elles n’auront plus la force de voler, grince le lieutenant Déplanté, sèchement.
— J’ai Londres », interrompt Paulin.
Son casque sur
Weitere Kostenlose Bücher