Raimond le Cathare
d’une soif de savoir qui parvient à ouvrir
l’esprit des plus sots, elle est, avant tout, libre et heureuse de l’être. Elle
ne se donne à personne, mais se confie parfois quand elle sait qu’on la
respecte et qu’on l’aime. En retour, elle offre à ceux qui l’habitent toutes
ses libertés. Celles du corps, du cœur, et de l’esprit Sans oublier celle des
âmes. Les plaisirs, les passions, les sciences et les croyances, tous les
enseignements, toutes les aventures, toutes les entreprises, toutes les
convictions ont ici droit de cité. C’est notre plus précieuse richesse.
Or jamais elle n’a été aussi
gravement menacée.
Le péril de la croisade pèse non
seulement sur les biens matériels de Toulouse mais aussi sur les principes
politiques incarnés par cette cité. Rome et le Nord voudraient anéantir cet
exemple toulousain, mais Toulouse n’a pas conscience du péril. Elle se croit
invincible. Elle se trompe : elle n’est qu’irrésistible. Elle attire les
convoitises et les jalousies, les vindictes des sectaires et des fanatiques
déterminés à mettre fin au scandale que représente pour eux cette capitale de
toutes les libertés. Je ne les laisserai pas faire. Je n’accepterai à aucun
prix qu’elle soit brutalement pénétrée par une armée et qu’un guerrier s’empare
d’elle par la force pour la soumettre à la contrainte. Je la protégerai comme
une femme aimée devant celui qui tenterait de la violer. Insouciante, Toulouse
compte sur moi. Orgueilleuse, elle imagine qu’il nous suffira de brandir
l’épée. Or c’est ainsi, j’en suis convaincu, que nous attirerions fatalement la
foudre. Je n’agirai pas pour assurer ma grandeur mais pour garantir sa
sauvegarde.
Pour cela, il faudra consentir à
s’humilier. Je vais probablement blesser sa fierté et ternir ma réputation. La
ville que j’aime va me mépriser. J’en souffrirai mais je n’hésite pas car il
s’agit de la sauver. Je n’ai pas le choix des moyens. Quoi qu’il m’en coûte, je
sais ce que je dois faire. Je vais abdiquer tout orgueil pour ne pas laisser
Toulouse et mon pays « exposés en proie ».
Car telle est la loi de la croisade.
Je la connais par mon aïeul Raimond de Saint-Gilles, par mon grand-oncle
Bertrand, par mon grand-père Alphonse Jourdain. Trois comtes de Toulouse
successifs sont morts Croisés en Terre sainte.
Partie II
La croisade
Exposé en proie
Toulouse, janvier 1209
Un an s’est écoulé depuis le meurtre
de Pierre de Castelnau. Ce matin, au lever du soleil, d’Alfaro est venu me lire
une lettre du pape destinée au roi de France, aux évêques et à tous les grands
du royaume.
Les mensonges d’Arnaud Amaury,
distillés dans l’alambic de la Curie romaine, sont devenus des vérités
pontificales. Innocent III lance contre moi des paroles terribles. Comme
le ferait un témoin oculaire, il décrit les circonstances de l’assassinat de
son légat, Pierre de Castelnau. « À Saint-Gilles, le comte menaça de
mort, en public, les légats. Aussitôt, passant des paroles aux actes, il envoya
ses complices dresser un guet-apens. Le lendemain, quand le jour fut levé,
alors que les inoffensifs chevaliers du Christ se préparaient à traverser le
fleuve, l’un de ces bras de Satan, brandissant sa lance, blessa Pierre
par-derrière, entre les côtes . »
Après l’accusation vient la
condamnation. Contre moi le pape appelle la chevalerie française à la guerre
sainte : « Levez-vous, soldats du Christ ! Princes très
chrétiens ! Ceignez votre épée ! Empêchez la ruine de l’Église dans
ces régions. Réduisez par la force ces hérétiques bien plus dangereux que ne le
sont les sarrasins ! »
Par mes ancêtres, je connais cette
alliance de la Croix et de l’épée : c’est une croisade. « Outre la
gloire temporelle que vous obtiendrez par une si pieuse et si louable action,
gagnez la même rémission des péchés que nous accordons à ceux qui se portent
outre-mer au secours de la Terre sainte. »
S’ajoutaient à ces promesses celles
de magnifiques conquêtes. « Confisquez les biens des comtes, des barons et
des citoyens qui ne voudraient pas éliminer l’Hérésie de leurs terres, ou qui
oseraient l’entretenir. »
Après l’excommunication, l’anathème
et l’interdit qui m’excluent de l’Église et privent mes sujets du secours des
sacrements, voici la sanction suprême : l’exposition en proie. Je suis
déchu de
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