Raimond le Cathare
Verfeil, Servian, Pézenas,
Carcassonne, Pamiers… Il est allé partout creuser son sillon. Après avoir
prêché dans les grandes villes, il fait halte dans les villages pour lutter en
profondeur contre l’hérésie.
Dominique de Guzman a courageusement
décidé de s’établir ici, à Montréal. Les Bons Hommes sont chez eux dans chaque
village des coteaux, dans chaque vallée des Pyrénées, dans les châteaux où ils
viennent prêcher à l’invitation des seigneurs. Aimery de Montréal est lui-même
un Croyant. Il y a quelques années, Guilhabert de Castres donna ici le
consolament à Esclarmonde, la sœur du comte de Foix. J’ai personnellement
assisté à cette belle et austère cérémonie qui réunissait tout le clergé
hérétique et les principaux seigneurs de notre pays.
Les Bons Hommes ne constituent pas
une menace pour le prédicateur puisqu’ils refusent toute violence. Le danger
pour Dominique de Guzman vient de nos seigneurs et de nos chevaliers, furieux
contre l’Église romaine et sa prétention à régenter leurs domaines. Protéger
les hérétiques est une façon d’affirmer que nos affaires ne se décident pas
ailleurs qu’ici et que nous entendons rester maîtres chez nous.
Mais il est vrai que depuis son
arrivée, il y a dix mois, Dominique de Guzman a réussi à incarner une autre
façon d’être et d’agir. Son exemple a su conquérir bien des cœurs et sa parole
a ramené quelques âmes au bercail. Il s’est fait respecter par son abnégation
et connaître grâce aux « controverses ». Ces confrontations verbales
mettent aux prises les deux clergés face à face et à armes égales devant un
public passionné, sous l’arbitrage du seigneur du lieu. Dominique de Guzman y
voit le seul moyen de retrouver l’écoute de la parole de Dieu pour ces foules
nombreuses attirées par l’animation qui se déploie autour de l’événement. On
vient de loin pour y assister. Certains débats durent plusieurs jours pendant
lesquels, du matin au soir, s’échangent arguments, citations, exhortations et
menaces.
Le public participe bruyamment. De
la salle surchauffée jaillissent interpellations, questions et invectives. Le
seigneur qui abrite les débats dans son château intervient pour rétablir le
calme, menace de faire évacuer la salle, veille à l’équité des temps de parole
entre les deux Églises représentées par un nombre égal de défenseurs.
Dehors, ceux qui n’ont pas pu
prendre place dans la salle d’audience restent sur la place, tendant l’oreille
pour saisir quelques bribes de discours lorsque l’orateur force sa voix. On les
commente aussitôt pour les approuver ou les réfuter. Les enfants croquent des
friandises vendues par des marchands ambulants. L’auberge ne désemplit pas et
l’on chante tard le soir dans les ruelles.
Pendant ce temps, réunis chacun de
son côté, les prédicateurs se préparent aux joutes du lendemain. En secret, ils
affûtent leurs raisonnements, étayent leurs arguments, recherchent dans les
textes sacrés les citations les plus pertinentes. Ils s’efforcent de convaincre
le public et de conquérir le jugement des seigneurs chargés, pour conclure les
débats, d’en désigner les vainqueurs.
Au grand scandale des légats qui
sont venus parfois participer aux controverses, l’homme devient arbitre de la
lutte entre Dieu et Diable. Les seigneurs locaux, fort peu instruits des
questions religieuses et constatant la division du public, renvoient le plus
souvent dos à dos les deux Églises, au milieu des cris et des rires.
La foule aime les débats qui
tournent autour de la Croix. Les hérétiques refusent catégoriquement de
l’adorer et maudissent l’Église d’avoir pour emblème un instrument de torture.
— Vous vous inclinez devant
l’outil du supplice du Christ. Vous êtes l’Église du Mal !
Les protagonistes l’emportent
davantage par les effets oratoires que par la rigueur du raisonnement.
Les femmes, nombreuses dans le
public, penchent souvent en faveur de l’Hérésie. Un jour, Esclarmonde de Foix,
la sœur du comte, est venue elle-même assister à une controverse. Elle y a
participé activement en prenant la parole dans un silence attentif.
« Femme, votre place n’est pas ici. Retournez filer votre
quenouille ! » lui a dédaigneusement lancé pour toute réponse un
clerc catholique. Les cris de protestation ont immédiatement sanctionné cette
maladresse grossière. Notre pays respecte les
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