Raimond le Cathare
mes droits et l’Église annonce que ma terre appartiendra à celui qui
s’en emparera. C’est la loi du plus fort « Qu’il soit permis à tout
catholique non seulement de combattre le comte, mais encore d’occuper et de
garder sa terre, afin que la sagesse d’un nouveau possesseur la purifie de
l’Hérésie qui l’a honteusement souillée . »
Innocent III tente même de
convaincre le roi de France de partir en croisade contre moi. « Ne
tardez pas à rattacher son pays tout entier au domaine royal . » Mais
Philippe Auguste a de l’affection pour son neveu, il doit protection à son
vassal et, surtout il n’aime pas que le pape vienne se mêler des affaires
politiques du royaume. Il le lui écrit avec fermeté : « Vous
livrez la terre du comte à ceux qui voudront s’en emparer, mais vous n’avez pas
le droit d’agir ainsi tant que vous ne l’aurez pas condamné comme hérétique. Et
quand bien même il serait condamné, vous devriez nous en avertir et nous
demander d’exposer sa terre, car c’est de nous qu’il la lient . »
Le pape et le toi de France ont deux
conceptions opposées de leurs pouvoirs respectifs. Philippe Auguste refuse que
Rome empiète sur ses prérogatives. Pour Innocent III, au contraire,
« aux princes a été donné le pouvoir sur la terre ; au sacerdoce a
été attribué le pouvoir sur la terre comme au ciel ».
En vertu de cette doctrine,
Innocent III envoie courriers et émissaires auprès des grands vassaux du
royaume, usant de la menace ou de la prière, pour convaincre les seigneurs
d’obéir à l’Église.
Par ailleurs, pour financer la
croisade, il ordonne aux évêques de lancer dans leurs diocèses des collectes
auprès des fidèles, et il décrète le moratoire des dettes en faveur de ceux qui
s’engagent dans l’armée du Christ.
Harcelé par sa noblesse, Philippe
Auguste finit par lui céder. Refusant toujours de s’engager lui-même, il
accorde au duc de Bourgogne et au comte de Nevers le consentement qu’ils
sollicitent avec tant d’insistance. Il leur permet d’emmener cinq cents chevaliers.
Avec les milliers d’hommes d’armes et de ribauds qui vont les suivre, c’est une
armée redoutable qui va bientôt marcher sur notre pays.
Il faudra plusieurs mois de quêtes
et de prédications pour réunir le financement et mobiliser les combattants,
mais tous les obstacles sont désormais levés devant les légats. Le parti de la
croisade a fini par l’emporter.
L’humiliation
consentie
Saint-Gilles, 18 juin 1209
Depuis ce matin, le parvis et la
place disparaissent sous la masse de la foule qui se presse. Ils sont venus
nombreux et de fort loin pour assister à cet événement inouï : le comte de
Toulouse, duc de Narbonne, marquis de Provence, va faire spectaculairement
pénitence pour se réconcilier avec l’Église.
Le peuple de Saint-Gilles et des
villages provençaux avoisinants ne voulait pas manquer un tel spectacle. Les
ruelles contiennent à peine les milliers de curieux qui se dressent sur la
pointe des pieds pour apercevoir le cortège. À chaque fenêtre, par grappes, des
têtes tirent sur leur cou. Les plus jeunes et les plus audacieux sont juchés
sur les toits de tuile. Dans la foule, on converse et les plaisanteries
s’échangent comme aux jours de fête. Pour une fois, ce ne sont pas les plus
humbles qui vont subir les châtiments de l’Église auxquels les grands échappent
toujours. C’est l’occasion de se distraire que cet événement dont le peuple est
spectateur et dont le seigneur est la victime.
Soudain le silence se fait. Nu
jusqu’à la ceinture, cheveux gris pendants sur mes épaules, braies flottantes
sur mes jambes maigres, j’avance les verges à la main vers l’église où m’attend
un clergé innombrable. Les évêques sont coiffés de leur mitre, revêtus de leur
chasuble de velours et de soie, chaussés de fines mules brodées d’or. Les
pierres précieuses qu’ils portent à leurs doigts et à leur cou, les hautes
croix de vermeil qu’ils tiennent en main resplendissent comme le signe
ostentatoire de leur arrogante puissance temporelle. Je lève les yeux sur le
portail de l’église abbatiale. Édifiée par Raimond de Saint-Gilles, ouvragée et
sculptée par ses successeurs, décorée sur mes ordres et à mes frais, elle
domine la cité et le vaste Rhône. De grands voiliers filent orgueilleusement
vers la mer ou remontent le fleuve en se jouant du mistral.
Les
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