Raimond le Cathare
verges sifflent et viennent
douloureusement claquer sur mon dos nu. Je reprends mon souffle.
Je compte cinq pas. Je m’arrête. Mon
bras fauche l’air et les verges viennent à nouveau blesser ma chair brûlante,
prête à se déchirer sous les coups que je m’inflige. Je n’ai pas accepté de les
recevoir d’un autre. Il ne sera pas dit que le comte de Toulouse a été fouetté
comme un voleur. Je m’administre la punition avec énergie afin que l’on ne
puisse raconter qu’il s’agissait d’un simulacre.
Au pied des marches de l’église, on
me passe la corde au cou. À genoux, un cierge allumé à la main, je dois lire à
pleine voix l’acte d’accusation. Parmi bien des griefs, je suis, dit-on,
coupable d’avoir « favorisé et protégé les hérétiques », d’avoir
« employé des juifs à des fonctions publiques » ; coupable,
enfin d’être « suspect de l’assassinat de Pierre de Castelnau ».
Seize de mes vassaux du Rhône, convoqués par leurs évêques, sont les témoins de
mon humiliation. Ils doivent prêter serment avec moi.
Mes compagnons dissimulent leur
émotion et leurs larmes en plongeant leur visage entre leurs mains. Un murmure
de colère monte de la foule. La honte que l’on m’inflige rejaillit sur le
peuple. Tenant l’extrémité de la corde nouée autour de mon cou, un évêque me
conduit comme un animal domestique à l’intérieur du sanctuaire.
Après la violente lumière d’été, je
suis aveuglé dans la pénombre de la nef et assourdi par les cantiques. Me voici
réconcilié avec l’Église et accueilli dans la communauté chrétienne dont
j’étais banni par l’excommunication. Je ne suis plus Raimond le Cathare. Des
clercs viennent agiter des encensoirs, un évêque brandit devant mon visage un
ostensoir d’or. La foule se presse dans une bousculade indescriptible. On me
pousse, on me tire dans un désordre tel que la cérémonie tourne court. Ceux qui
me guident m’évacuent par la crypte. Nous passons devant le caveau où repose
Pierre de Castelnau. Une main saisit mes cheveux, une autre pèse sur mes
épaules, m’obligeant à m’incliner devant la sépulture du légat.
*
* *
Les femmes du château de
Saint-Gilles m’ont longuement soigné en versant des larmes de compassion. J’ai
dû les réconforter pendant qu’elles étendaient sur mes plaies des plantes
pilées dans une graisse apaisante. Le torse bandé, j’ai revêtu une tunique de
lin rouge pour rejoindre le conseil réuni dans la grande salle du château.
La pièce est encore éclairée par la
lumière de cette fin de journée de juin. C’est sous cette voûte, il y a
dix-huit mois, que résonnèrent les paroles de Pierre de Castelnau :
« Qui vous tuera sera béni, Raimond le Cathare ! »
En lui répondant par une menace de
mort, j’ai refermé le piège. Malgré l’humiliation de ce matin, je ne suis pas
encore sorti de ses mâchoires : la croisade est à nos portes.
Bertrand, mon fils naturel, Raimond
de Rabastens mon confesseur, Hugues d’Alfaro le soldat, Raimond de Ricaud mon
sénéchal, venus de Toulouse pour m’épauler dans l’épreuve, commentent avec mes
vassaux de Provence les événements de la journée.
— Ils ont traité notre comte
comme on exorcise un possédé du démon, enrage Raimond de Ricaud.
Je coupe court aux indignations.
— Ce qui a été fait devait être
accompli, il est inutile d’en parler davantage. D’autant plus que nous devons
nous imposer un sacrifice encore plus difficile. Mieux vaut que je vous
l’annonce sans tergiverser : nous allons partir rejoindre la croisade.
Vous m’accompagnerez.
Les Toulousains, les yeux exorbités,
me regardent comme si j’avais perdu l’esprit Sans doute pensent-ils que le
soleil, la douleur et la violence de la cérémonie expiatoire ont troublé ma
raison.
C’est, au contraire, une décision
réfléchie que je leur explique. L’étude de l’histoire de mes ancêtres m’a
enseigné le droit et les règles de la croisade. Pour pouvoir convaincre les
grands féodaux et leurs vassaux de partir à l’autre bout de la mer, il fallait
leur offrir une garantie absolue : les terres et les biens de celui qui
prend la croix sont sous la protection de l’Église. Celui qui tente de s’en
emparer, mettant à profit l’éloignement du seigneur, est immédiatement excommunié.
On pouvait ainsi partir en Terre sainte sans avoir à s’inquiéter de son fief.
Les règles édictées
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