Raimond le Cathare
Farouche montagnard, il mène une existence mouvementée, faite de
violences et de plaisirs.
L’Église ne manque pas de griefs
contre lui. Toute sa famille est acquise à l’Hérésie. Sa sœur Esclarmonde a
publiquement reçu le consolament et sa femme Philippa dirige depuis trois ans
une maison de Bonnes Dames à Dun. Ses soldats ont tué le chanoine de
Saint-Antonin et dépecé son corps sur l’autel de l’abbaye parce qu’il avait
chassé de Pamiers la tante du comte, une hérétique notoire. Ils organisent
parfois des orgies et des pillages dans les monastères qui leur tiennent tête.
Cependant, le comte de Foix sait
s’affirmer catholique lorsque nécessité fait loi. Impressionné par
l’effondrement de la maison Trencavel et la rapidité avec laquelle l’armée de
Montfort s’empare des territoires qui lui ont été dévolus, le Comte roux vient
sous la tente du chef des Croisés pour lui proposer la paix. Il fait ouvrir les
portes de Preixan. Sans doute pense-t-il, comme moi naguère, mettre ainsi son
comté à l’abri de l’invasion.
L’armée dévale ensuite les Pyrénées,
traverse la plaine sans même s’arrêter à Carcassonne, pour remonter par la
route du nord vers la montagne Noire. Castres se soumet.
La prochaine étape de cette marche,
jusqu’ici conquérante, sera son premier échec. Forteresse imprenable, les
châteaux de Cabaret dont les tours se dressent comme des chandelles de pierre
sur la montagne Noire. Plusieurs centaines de Bons Hommes y sont réfugiés à
l’abri des murailles et sous la protection des chevaliers faidits, dont les
possessions dans la plaine ont été confisquées par les Croisés. Sur ces pentes abruptes,
il est impossible de dresser une machine de guerre. Les assiégeants ont le plus
grand mal à escalader la roche. Le premier assaut lancé dans ces conditions
difficiles est aisément repoussé par les défenseurs.
Simon de Montfort ne s’obstine pas.
Pour la première fois, il ordonne la retraite et ramène ses hommes dans la
vallée. Frustré, il se lance à nouveau vers le sud et retourne dans les
Pyrénées. Il entre sans hésitation sur les terres du comte de Foix, auquel il
avait pourtant promis la paix quelques jours plus tôt. Il s’empare de Mirepoix,
de Saverdun et de Pamiers. Le Comte roux devient, dès lors, un adversaire
acharné de l’usurpateur. Les Croisés vont vite découvrir qu’ils ont blessé une
bête féroce qui ne cessera de les harceler. Ils sont déjà repartis vers le nord
afin de prendre Albi, que l’évêque Guillaume livre à son nouveau seigneur.
Il n’a pas fallu trois mois à
Montfort pour établit son emprise sur le vaste territoire qu’on lui a donné en
proie, le 15 août dernier, à Carcassonne.
*
* *
Depuis ce jour, Raimond Roger
Trencavel est enchaîné, cloué au sol par le poids de fers aussi pesants que la
solitude. Le prisonnier est au secret. On ne saura rien de lui jusqu’au 10
novembre. Ce jour-là, moins de trois mois après son arrestation, la mort du
jeune seigneur vaincu est annoncée. L’évêque qui lui a administré les derniers
sacrements explique qu’il est mort d’un flux de ventre. Pour avoir souvent
partagé ses repas, je sais pourtant qu’il digérait tout, sauf le poison.
C’est Simon de Montfort lui-même qui
a organisé la cérémonie funéraire. Le corps est présenté dans la chapelle du
château de Carcassonne pour que chacun puisse s’incliner devant lui. Des
milliers de personnes viennent se recueillir sur ses restes.
En rendant un hommage public à son
prédécesseur et en exposant son corps, l’usurpateur fait en sorte qu’un grand
nombre de témoins constatent la mort du prince légitime et le fassent savoir.
C’est le meilleur moyen de répandre le découragement chez les chevaliers
fidèles à leur seigneur, qui auraient pu fomenter une révolte pour le libérer.
Pour embellir sa réputation,
Montfort accorde à la jeune veuve de son ennemi, Agnès, une rente annuelle de
trois mille sols melgoriens. « Mille à Noël, mille à Pentecôte, mille à
Saint-Michel ». En échange : « Moi, Agnès, donne, cède,
livre et abandonne à jamais à vous, seigneur comte, et à vos successeurs, tous
les droits que j’ai sur toute la terre de mon mari, autrefois vicomte . »
Simon de Montfort peut croire que
son lion sur fond de vermeil va maintenant flotter sur un territoire
définitivement soumis. Il se trompe.
Sa légitimité est toujours
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