Raimond le Cathare
scrupule dès lors qu’il peut s’enrichir. Chaque jour
lui en donne l’opportunité, tant il y met de talent et d’opiniâtreté. En dépit
de ce défaut, j’ai de l’affection pour cet homme d’Église auquel le fanatisme
est étranger. Il n’ignore rien des arcanes de la Curie, sait prévoir les
réactions du pape, et connaît sur les évêques quantité de secrets qu’il me
confie. Quand ma conscience est lourde, je lui livre les miens : il est
mon confesseur.
* *
*
Dans mon testament je commence par
Dieu : je donne mon plus jeune cheval aux Hospitaliers. Aux Templiers, je
lègue ma plus belle monture, son harnachement de parade, et tout mon équipement
de guerre : armure, écu, cotte de mailles.
Je lègue le comté à mon successeur,
Raimond le Jeune, mon fils légitime, le futur Raimond VII.
Je n’apposerai mon sceau qu’après
avoir doté mon épouse, Éléonore, et mes enfants naturels, que j’aime de tout
mon cœur. Bertrand aura Caylus et Bruniquel, Guillemette recevra Saint-Jory et
Montlaur. Tous seront les vassaux de Raimond le Jeune.
Après Dieu et les miens je dois
enfin intéresser Philippe Auguste. Si mes héritiers venaient à disparaître, mes
possessions iraient au roi de France. Pour faire en sorte qu’il le sache,
j’irai d’abord à Paris déposer le testament entre les mains de mon roi et
m’assurer ainsi de sa bienveillance.
Puisque le printemps et l’été ont
été propices à la guerre, je vais tenter de faire de cet hiver 1210 un succès
politique en resserrant mes alliances et en désarmant la vindicte pontificale.
L’audience
d’Innocent III
Le voyage à Rome, hiver 1210
Après deux semaines de voyage, notre
cortège arrive dans la cité du roi, fondée sur une île, au milieu de la Seine.
Philippe Auguste m’accueille comme un parent. Mes compagnons de croisade, le
duc de Bourgogne, le comte de Nevers et bien d’autres, me reçoivent à leur
table, à Paris ou dans ses environs. Ils s’enquièrent de la santé de Raimond le
Jeune et me manifestent une grande amitié. Simon de Montfort lui-même m’a fait
savoir qu’il mettait sa demeure de la forêt des Yvelines à ma disposition.
Le séjour chez Philippe Auguste et
le dépôt du testament me permettent de rappeler que le roi est mon suzerain et
qu’il me doit protection tant que je suis loyal à son égard. Cette précaution
prise, nous pouvons emprunter la route de l’Italie.
Dans le nord de la péninsule, je
rencontre l’empereur de Germanie. Il me rassure sur ses intentions à mon égard.
Il ne nous reste plus qu’à affronter l’étape décisive : l’audience
pontificale.
En chemin, j’ai tout le temps
nécessaire pour me préparer à rencontrer Innocent III.
Bien que n’ayant pas encore atteint
l’âge de cinquante ans, le pape a derrière lui une longue pratique du pouvoir
ecclésiastique. Ce fils de la noblesse du Latium, après avoir brillamment
étudié à Paris et à Bologne, a connu une carrière fulgurante qui fit de lui un
cardinal à l’âge de vingt-sept ans. Dix ans plus tard, à la mort de Célestin III,
Lotario Conti fut porté par un vote unanime sur le trône de saint Pierre, dont
il prit fermement possession sous le nom d’Innocent. C’était à la fin du siècle
dernier, en 1198. J’étais comte de Toulouse depuis tout juste trois ans.
Plus de dix années se sont écoulées.
Durant cette décennie, le pape s’est acharné sans cesse davantage dans son
combat contre l’hérésie.
Pendant un siècle, ses dix-neuf
prédécesseurs, depuis Urbain II et la Première Croisade, ont
indéfectiblement lutté pour soutenir les guerres de Terre sainte, appelant les
souverains, les féodaux, les chevaliers et tout le peuple de l’Église, clercs
et laïcs confondus, à prendre la Croix et à partir vers Jérusalem combattre les
mahométans.
L’avènement du règne
d’Innocent III marque un changement de politique. Il relègue au second
plan la lutte contre les sarrasins, en Espagne ou en Palestine, au profit de
son obsession : la guerre contre l’hérésie. C’est un défi personnel dans
lequel il engage son règne.
Cet acharnement s’explique. Lorsqu’il
a succédé à Célestin, Jérusalem était déjà reprise par Saladin depuis plus de
dix ans. Cette défaite de la Chrétienté subie par l’un de ses prédécesseurs ne
pouvait donc entacher son propre pontificat En revanche, un an à peine après
son accession au Saint-Siège, il
Weitere Kostenlose Bücher