Raimond le Cathare
agir
autrement ? Je sais ce que l’on dit de moi, aussi bien chez les miens que
chez les plus fanatiques des Croisés.
Les gens de mon pays m’accusent de
ne pas avoir mis toute la région sur le pied de guerre, de les avoir abandonnés,
et d’être passé à l’ennemi. Je lis ces reproches dans le regard de mes plus
fidèles compagnons. Mon ami Raimond de Ricaud me rapporte quelques propos tenus
à Toulouse ou ailleurs et qui sont venus jusqu’à ses oreilles. Connaissant mon
déchirement, il édulcore sans doute les témoignages.
J’ai déçu les miens sans conquérir
pour autant l’estime des autres. Sous les tentes de la croisade, dans les
conversations du soir ou sous la plume des moines chroniqueurs, les mots les
plus sévères sont lancés contre moi : hypocrisie, lâcheté, duplicité, tels
sont les traits ignobles sous lesquels ils me peignent. Certains hommes
d’Église n’hésitent pas à propager des calomnies infâmes pour me
déshonorer : « Dès le berceau, Raimond le Cathare a toujours aimé
les hérétiques. Il s’adonne à la luxure. Il est à ce point lubrique qu’il abusa
de sa propre sœur. Dès l’enfance, il recherchait les concubines de son père. Il
couchait avec elles on ne peut plus volontiers. Aussi son père lui prédisait-il
qu’il perdrait son héritage tant pour le fait d’hérésie qu’à cause de cette
monstruosité . »
Plus on me calomnie et plus on
glorifie Raimond Roger Trencavel, son courage et sa fierté. Les gens d’ici
l’admirent et les Croisés le respectent, alors que nul n’a plus la moindre
considération pour moi.
Mais, de nous deux, qui sera
désormais le plus utile à notre pays face aux envahisseurs ? Mon héroïque
neveu est aux fers, réduit à l’impuissance et dépossédé. Son peuple est
asservi, ses terres vont être envahies. Discrédité et vilipendé, j’ai cependant
pu conserver ma liberté et ma légitimité. Je les emploierai à protéger les
miens.
Le Centaure
Toulouse, château Narbonnais,
automne 1209
Depuis mon retour à Toulouse, je
reçois chaque jour des rapports sur l’activité de Simon de Montfort. Il est
animé d’une énergie à laquelle rien ne résiste. J’ai vécu à Carcassonne une
situation rare : mon ennemi est né sous mes propres yeux. Car, à n’en pas
douter, il sera impossible de vivre en paix avec un tel voisin.
Déjà, il assure sa prise sur la proie.
De nombreux seigneurs, vassaux de Trencavel, viennent au-devant de Montfort
pour reconnaître sa suzeraineté en vertu de la décision de l’Église. Ceux qui
refusent de s’incliner quittent le pays ou s’enferment dans leurs châteaux.
Après avoir confirmé les seigneurs qui se sont soumis, l’usurpateur distribue
les terres de ceux qui se sont enfuis. Guillaume de Durfort, Pierre Mir, Pierre
Roger de Mirepoix et tant d’autres sont déclarés « faidits »,
c’est-à-dire proscrits, et leurs possessions exposées en proie.
Simon de Montfort donne Béziers à
Guillaume de Contres, Limoux à Lambert de Thury, Mirepoix à Guy de Lévis. Tous
ceux qui sont restés à ses côtés reçoivent leurs fiefs. Ensemble, ils vont
conquérir ce qu’ils se sont partagé.
Montfort ne cesse de chevaucher en
tous sens pour combattre, assiéger, prendre par la force ou par la peur. Pas un
jour ne passe sans qu’il enfourche son cheval. Cet homme est un centaure.
Sa troupe marche vers Montréal et
Fanjeaux, à deux jours de Carcassonne, où Dominique de Guzman s’est établi
depuis trois ans. C’est la croisée des chemins de Toulouse à la mer et des
Pyrénées à l’Albigeois, au cœur du pays hérétique.
À l’approche des Croisés, la
population s’enfuit. Croyants et Bons Hommes prennent la route de Toulouse ou
le chemin des montagnes. Beaucoup montent se réfugier à Montségur, dans une
forteresse inexpugnable où Raimond de Pereille et les chevaliers croyants qui
l’entourent vont accueillir les plus hautes figures de l’Hérésie, Guilhabert de
Castres, Gaucelin, Bertrand Marty ou Jean Cambière. Montségur va devenir pour
le peuple des Croyants ce qu’est le Saint-Siège pour les catholiques ou La
Mecque pour les musulmans.
En chemin, la troupe arrive devant
une possession du comte de Foix. Preixan ferme ses portes devant la croisade
qui installe aussitôt son camp. Ce siège est un défi à Raimond Roger de Foix,
le guerrier à la chevelure de feu, surnommé le Comte roux. C’est un personnage
pittoresque.
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