Raimond le Cathare
sa fille, Guillaume de Sais, qui fait partie des
défenseurs de Lavaur. Hugues d’Alfaro nous presse de décider :
— Il faut faire vite. Tant que
le siège n’est pas refermé, nous pouvons encore faire passer des hommes, mais
dans quelques jours, il sera trop tard. Plus d’un millier de soldats sont en
chemin. Ils viennent de Carcassonne. Quand ils seront à Lavaur, la ville sera
coupée du reste du monde.
— Attaquons ces chiens !
C’est la voix rocailleuse du Comte
roux. Raimond Roger de Foix entre dans la salle, accompagné de son fils. Roger
Bernard est aussi belliqueux que son père. Hier, je supportais difficilement
leur violence. Aujourd’hui, elle me réconforte.
Nous arrêtons un plan que nous
menons immédiatement à exécution. Le comte de Foix et Guiraud de Pépieux vont
tendre une embuscade dans les collines, entre Carcassonne et Lavaur. Ils
attaqueront par surprise les renforts qui cheminent sous les ordres de Nicolas
de Bazoches pour rejoindre la croisade. Au même moment, Raimond de Ricaud et
une troupe de cavaliers toulousains tenteront de passer entre les positions des
assiégeants pour entrer dans Lavaur et renforcer la garnison. À l’appui de ces
manœuvres, je ferai diversion en allant rencontrer Montfort près de son camp.
Pour ne pas risquer de tomber dans un piège, il viendra sous bonne escorte.
L’infiltration de Raimond de Ricaud et le guet-apens du Comte roux en seront
facilités. Le désagrément d’une nouvelle entrevue avec Simon de Montfort est
pour moi compensé par le plaisir de le duper.
Tout se déroule comme nous l’avions
prévu. Les chefs de la croisade et leurs principaux chevaliers, puissamment
accompagnés, viennent à ma rencontre. Raimond de Ricaud et la troupe qu’il
conduit en profitent pour entrer dans Lavaur, pendant que Raimond Roger de Foix
et ses hommes prennent secrètement position sur les flancs d’une colline
boisée, guettant l’arrivée des renforts.
Sous sa grande tente dressée pour
notre entrevue, Simon de Montfort se montre plus arrogant que jamais. Apprenant
que mon sénéchal et les hommes qu’il conduisait sont parvenus à passer les
lignes et à rejoindre Lavaur, il m’accuse de fourberie. Pierre de Courtenay
s’efforce d’apaiser son chef et me supplie de me soumettre aux volontés de
l’Église. Je l’écoute patiemment. Mon silence attentif l’encourage à poursuivre
son sermon. Plus il parle, plus le temps passe et plus grandes sont les chances
de réussite de l’embuscade tendue dans le sous-bois de Montgey, à quelques
lieues d’ici, sous les ordres du comte de Foix.
Après en avoir appelé à ma sagesse,
Pierre de Courtenay invoque nos liens familiaux pour m’inspirer confiance. Je
ne contiens plus mon amertume.
— Messire, la dernière fois que
je vous ai entendu tenir ce langage, c’était à Carcassonne, il y a deux ans,
devant les remparts de la ville. Vous aviez convaincu mon neveu, votre cousin,
Raimond Roger Trencavel. Il est mort de vous avoir cru.
— Il était vaincu ! hurle
Simon de Montfort.
Des cris d’appel aux armes
interrompent la réunion. Les sergents relèvent les pans de toile de la
tente : un jeune homme ensanglanté gît dans l’herbe de la clairière. C’est
un chevalier de l’armée de renfort. À bout de forces, il raconte le massacre
auquel il a échappé. Tous ses compagnons sont morts. Ils ont été attaqués par
surprise à Montgey, là où Raimond Roger de Foix avait tendu son guet-apens.
Montfort crie ses ordres. Les
chevaliers croisés montent en selle. Les Toulousains m’aident à enfourcher mon
cheval et se regroupent autour de moi pour prévenir toute tentative hostile.
Dans les yeux de Simon de Montfort,
la fureur a fait place à la stupeur. Je lis dans son regard l’étonnement de
découvrir que j’ai décidé de me battre. Il enfonce son heaume et s’élance vers
Montgey. Je repars vers Toulouse en sachant que, désormais, nous ne nous
reverrons que les armes à la main.
*
* *
Dès le lendemain, nous sommes en
possession des premiers témoignages rapportés aux chroniqueurs dont les textes
sont copiés par quelques clercs que je soudoie. À leur lecture, je mesure
l’ampleur de la première grande défaite infligée à l’armée du Nord. Les plumes
qui ont chanté les massacres commis par les Croisés s’indignent aujourd’hui du
sang versé.
Ô cruelle trahison, ô rage des
impies, ô bienheureuse assemblée de victimes, ô mort des
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