Raimond le Cathare
voleurs de terres ! Les clercs et les Français n’ont
qu’un désir en tête : dépouiller jusqu’à l’os le comte, mon beau-frère.
Qu’il n’ait rien fait de mal leur importe fort peu. Je vous prie donc, amis, de
m’estimer assez pour épouser ma cause et vous vêtir de fer. Dans un mois, si
Dieu veut, avec nos compagnies nous franchirons ensemble le col des Pyrénées.
Toulouse, septembre 1213
Au cours des dernières années, les
Toulousains ont successivement éprouvé des sentiments divers : l’insouciance,
lorsque la machination destinée à nous broyer s’élaborait à Rome et dans nos
évêchés ; la stupeur, quand j’ai accepté de m’humilier devant
l’Église ; le mépris, lorsque je me suis mêlé aux rangs de la
croisade ; la crainte, quand Montfort est venu planter ses tentes devant
nos murs ; la fierté, lorsque son armée a plié bagages sous nos
assauts ; le dépit, quand il nous a échappé à Castelnaudary ; la
rage, enfin, de voir nos contrées dévastées et nos libertés piétinées.
Aujourd’hui, c’est une impatience
fébrile qui anime la population pressée d’en finir avec l’envahisseur. Nous
savons que, derrière les Pyrénées, une force invincible s’apprête à libérer nos
territoires. L’arrogante dureté de l’usurpateur n’est plus qu’une coquille de
noix qui va céder sous la pression conjuguée des forces des pays de nostra
lengua .
Désormais, peu m’importent les rois
de France et d’Angleterre, l’empereur d’Allemagne et le pape. Comment
pouvaient-ils croire qu’un pays et son peuple s’offriraient en litière aux ambitions
d’un conquérant sans scrupule et aux appétits d’un clergé avide de
profits ?
Chaque jour, je calme l’impatience
de Toulouse, mais, chaque jour aussi, j’adresse à Pierre des messages le
pressant de venir libérer nos contrées occupées et saccagées.
Connaissant ses faiblesses, j’ai
demandé à des troubadours, amis du roi d’Aragon et familiers du château
Narbonnais, de composer des vers pour piquer l’amour-propre du souverain. De
leur musique et de leurs mots, ces poètes savent faire aussi bien une caresse
qu’une écorchure. On chante ses vertus, mais on rapporte aussi les sarcasmes
des Français le mettant au défi en clamant qu’il n’osera jamais s’attaquer à
Montfort. On lui fait savoir que de belles dames commencent à désespérer, que
celle à laquelle il pense, Alazaïs, se morfond sans comprendre pourquoi le roi
ne vient pas la délivrer des griffes de l’occupant Nos troubadours connaissent
à merveille le chemin qui mène au cœur de l’homme.
En lisant ces poèmes, Pierre
s’enflamme pour Alazaïs. La distance exalte sa passion, et les chansons des
poètes l’avisent que les sentiments de la dame pourraient faner avec le temps.
De tous les défis qui lui sont
adressés, n’est-ce pas celui-ci qui va mettre Pierre en selle ?
Muret, 11 septembre 1213
La belle et grande armée d’Aragon a
franchi la montagne aux derniers jours du mois d’août 1213. Le roi veut engager
la bataille avant les intempéries de l’automne.
Dans nos échanges de correspondances
secrètes, acheminées par des coursiers rapides et habiles à passer furtivement
les lignes adverses, nous avons décidé de provoquer la bataille à Muret La
plaine borde une boucle de la Garonne autour de la petite cité tenue par les
chevaliers de Montfort L’endroit est judicieusement choisi. Il est possible, en
une journée de marche, d’y acheminer les renforts dont la ville regorge. Les
capitouls, pour figurer parmi les vainqueurs, ont levé à prix d’or une milice
urbaine qui se prépare à piller Muret. Durant des heures, c’est par milliers
que les hommes franchissent en rangs serrés les portes méridionales de Toulouse
pour marcher en chantant vers le champ de bataille. Ne voulant pas courir le
risque d’une nouvelle débandade des soldats attirés par l’odeur des jambons,
j’ai chargé Raimond de Ricaud de veiller à la surabondance des provisions.
Grâce à sa réputation de glouton, les hommes savent que le ravitaillement sera
suffisant et qu’ils ne manqueront de rien.
La plaine descend en pente douce
d’une petite colline vers la rive de la Garonne. Dans le coude du fleuve, la
cité de Muret, sur laquelle flotte le lion de Montfort, abrite une garnison
d’une vingtaine de chevaliers et d’une trentaine d’archers. Nous pourrions
lancer des milliers de
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