Raimond le Cathare
beaucoup sont croyants, fauteurs, receleurs et
protecteurs des hérétiques. Toi, oublieux de la crainte de Dieu, pratiquant
l’impiété sous une apparence de piété, au scandale du peuple chrétien et au
détriment de ta réputation, tu les as pris sous ta protection, eux et leurs
complices. »
Le pape ordonne au roi de nous
« abandonner sans délai, sans tenir compte des engagements et serments
pris ou reçus ». Il lui interdit de nous fournir « conseil,
aide ni faveur ». Le comte de Foix et le comte de Comminges sont
excommuniés et soumis aux mêmes exclusives. Pour conclure son message, le
Saint-Père use de la menace. Si Pierre d’Aragon n’obéissait pas à ces
injonctions, il subirait « un sérieux et irréparable dommage. Quelle
que soit notre affection pour ta personne, il nous sera impossible de
t’épargner ou de te ménager ».
La bataille de Muret
Barcelone, août 1213
La grande guerre est désormais
inévitable. Les instructions contradictoires du pape nous y conduisent
fatalement. Quoi qu’il puisse ordonner aujourd’hui contre nous, il n’en demeure
pas moins qu’il a dénoncé l’« usurpation », les « mains
avides » qui se portaient sur nos terres et l’« injustice subie par
les innocents ». Si quelques coffres bien garnis par Montfort et un
complot d’ecclésiastiques ourdi par Foulques et Arnaud Amaury l’ont fait
revenir sur ses décisions, l’honneur et la vérité n’ont pas changé de camp pour
autant.
Qu’importe ! Les retournements
de cet homme aussi autoritaire que versatile ne nous étonnent plus.
Malgré les menaces de Rome, Pierre
d’Aragon respecte le serment que nous avons échangé au début de l’année à
Toulouse. Son honneur souffre encore d’avoir abandonné son vassal Trencavel aux
mains des Croisés qui l’ont ensuite ignominieusement assassiné dans son cachot.
Cette fois il n’entend pas « se plier aux injonctions. À Barcelone, il
réunit dans son palais tous les dignitaires de son royaume. Autour de lui se
pressent les guerriers vainqueurs de l’Islam en Espagne, les évêques aragonais
fidèles à leur souverain et convaincus que la providence et le pape finiront
par lui donner raison, les financiers impatients de voir les caisses renflouées
par les richesses de mon pays, les femmes qui se disputent les faveurs de
Pierre avec d’autant plus d’âpreté que la mort de Marie de Montpellier a fait
de lui un jeune veuf aussi puissant que séduisant.
Nulle ne sait sur laquelle se
portera son choix, le soir venu. L’élue devinera-t-elle que sa bonne fortune ne
lui viendra que par défaut ? Le roi, comme toujours, tombera dans ses bras
en regrettant de ne pouvoir en prendre une autre. Chez les femmes, comme pour
les terres, seule la conquête l’intéresse. L’acquis l’indiffère. Or toutes
celles qui se pressent dans la moiteur de l’été catalan sont soumises et
offertes. Alazaïs de Boissezon, elle, lui échappe. Fille de notre pays, elle ne
veut se donner qu’à celui qui le libérera. Rares sont les actes qui obéissent
tout à la fois à l’honneur, à l’amour, et à l’intérêt du royaume. Pierre a la
chance de pouvoir faire concorder ces exigences généralement contradictoires.
Sauvegarder des principes de gouvernement bafoués par une armée d’invasion,
protéger ses sœurs, défendre ses beaux-frères, étendre son territoire, voler au
secours de celle qu’il désire : tout porte le roi à se jeter avec les
siens dans un combat grandiose dont l’issue ne fait aucun doute. Simon de
Montfort et Arnaud Amaury, leurs barons en quête de terres et leurs prélats
avides de revenus ne pèseront rien face à l’irrésistible coalition de nos
peuples unis par les cieux qui les abritent et par une langue commune : nostra
lengua .
Vêtu d’une tunique de lin blanc et
d’une toge de soie pourpre, entouré de tous les étendards des grands du royaume
d’Aragon, baigné dans la chaude lumière de la Méditerranée qui éclaire les
salles de son château, Pierre, debout devant son trône, appelle aux armes
contre l’envahisseur.
— Nous allons de ce pas
combattre la croisade qui ravage et détruit le pays toulousain. Sire Raimond
m’appelle à son secours : on dévaste sa terre. Or le comte et son fils
sont époux de mes sœurs. Nous sommes parents proches et je ne peux admettre
qu’ils soient ainsi traités. Marchons donc, messeigneurs, sus aux bandits
croisés. Sus aux
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