Raimond le Cathare
piétons sur la ville et nous en emparer aisément. Mais
ce serait peine perdue car l’usurpateur n’est pas dans les murs. Or c’est lui
que nous voulons combattre et tuer. Je ne doute pas qu’il sera bientôt devant
nous. Depuis le début de cette guerre, il a toujours porté secours à ceux des
siens qui pouvaient succomber sous le nombre. En l’attendant, j’ai ordonné la
construction d’un campement sur la pente de la colline, de façon à dominer la
plaine. J’ai fait requérir tous les artisans, charpentiers, menuisiers et
bûcherons. Les hommes travaillent avec acharnement, dressant les palissades,
creusant les fossés, fichant les pieux, lorsque des cris de joie nous annoncent
que l’armée d’Aragon est en vue.
C’est une étincelante troupe de
chevaliers qui suit Pierre II, entrant au galop dans le camp sous les
ovations. Je m’incline devant mon suzerain avant de serrer affectueusement mon
beau-frère dans mes bras. Il m’entraîne aussitôt avec ses principaux chefs de
guerre vers le grand pavillon pavoisé aux couleurs du royaume que j’ai fait
aménager pour lui. En défaisant ses pièces d’armure, il peste contre Simon de
Montfort.
— Cet homme est sans honneur.
Non seulement il retient mon fils en otage, mais il a réussi à capturer un
courrier. Il a volé la lettre que j’envoyais à Alazaïs.
— Que disait cette
lettre ?
— Que j’arrivais à son secours.
Il en a fait rédiger des copies pour les envoyer partout, de Beaucaire à Agen.
Il se moque de moi : « Je ne crains pas, dit-il, un homme qui trahit
son Dieu pour une femme ».
Le roi jette rageusement ses gants
sur le sol.
— Je le tuerai de mes propres
mains !
— Ce sera demain, Sire, si Dieu
le veut. Car ils arrivent, avertit Hugues d’Alfaro en relevant les portières de
toile du pavillon royal.
Nous apercevons dans les derniers
rayons du soleil la troupe des chevaliers de Montfort se ruant au grand galop
dans la petite cité de Muret. Les sabots de leurs chevaux soulèvent des gerbes
d’éclaboussures noires. Nous avons ordonné à nos hommes de ne pas intervenir
afin de laisser l’ennemi venir se jeter dans le piège.
Nous prenons place sur les sièges
disposés en cercle. Pierre II occupe la plus haute chaise. Il me fait
asseoir à sa droite. Sa fureur a fait place à une impatience fébrile.
— Messeigneurs, décidons et
décidons vite ! Comment agir demain ?
— Sire, tout se passe comme
nous l’avions prévu, se réjouit le Catalan Aznar Pardo. Nous voulions l’attirer
ici, à Muret. Nous avons réussi.
— Il n’y restera pas,
l’interrompt Hugues d’Alfaro. Montfort ne s’enferme jamais. Il veut conserver
la liberté de mouvement de sa cavalerie. C’est sa force. Attendez-vous à voir
les Français sortir et charger dès demain matin.
— Tant mieux ! Nos
chevaliers sont plus nombreux et tout aussi valeureux que les siens. Dès qu’il
sortira, nous fondrons sur l’ennemi et sa charge viendra se briser sur la
nôtre. Nous le taillerons en pièces, promet Michel de Luesia, un noble
aragonais aussi vaniteux qu’écervelé.
Je déconseille à Pierre de suivre
ces avis.
— Sire, ne décidez pas à
légère, je vous en conjure. Nous avons ici plusieurs milliers de combattants
bien armés et solidement protégés par les palissades, les pieux et les fossés
qui entourent notre camp. Hugues d’Alfaro a raison. Simon de Montfort ne se
laissera pas assiéger. Il va sortir et attaquer. Je vous suggère d’attendre que
l’assaut vienne devant nos lices. Laissons-les approcher suffisamment pour que
nos milliers d’archers et d’arbalétriers puissent les percer de leurs traits.
Sous cette pluie de flèches et de dards, ils subiront d’immenses pertes sans
pouvoir entamer nos forces. Lorsque Simon de Montfort ordonnera le retrait,
vous pourrez lancer votre cavalerie. Vos chevaliers achèveront le travail de
mes archers.
— Le comte Raimond nous propose
de ne pas bouger, de ne pas marcher sur l’ennemi, d’attendre son attaque en
nous blottissant peureusement derrière nos planches. Ce conseil n’est pas
inspiré par l’honneur ni par le courage. Peut-être est-il dicté par la peur,
lance insolemment Michel de Luesia, qui m’a toujours traité avec
condescendance.
J’aurais voulu que le roi se lève
pour fustiger son chef militaire. Pierre se contente d’un geste de la main pour
l’inviter à mesurer ses propos. À la brûlure de l’insulte s’ajoute le
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