Raimond le Cathare
qui s’étaient
courageusement dévoués pour cette ambassade blêmissent sous la menace. Un
négociant en vins, mains jointes et regard levé vers Montfort, implore :
— Ayez pitié de nous, de notre
ville, de son peuple innocent. Nos cœurs sont sans malice. Nul n’a jamais
comploté votre perte. Celui qui prétend le contraire est le vrai malfaisant,
lance-t-il en regardant Foulques, assis à califourchon sur sa mule.
— Fieffés hypocrites !
s’écrie Montfort. Vous me méprisez, vous voudriez me voir dépouillé.
D’un coup de talon, Guy fait avancer
son cheval pour venir contre le flanc de celui de son frère. Alain de Roucy
s’approche à son tour.
— Refrénez votre rancœur.
Prenez garde : humilier Toulouse est un risque mortel. À ce jeu-là, vous
risquez de tomber plus bas que terre.
Oubliant la délégation toulousaine,
Montfort s’en prend aux siens.
— Je n’ai plus un denier. Ceux
qui me suivent ont faim Voulez-vous qu’ils nous lâchent ? Je vais prendre
en ces murs de quoi payer mes gens.
Il lance ses ordres.
— Arrêtez ces bavards !
Jetez-les dans les prisons du château Narbonnais. Faisons main basse sur leurs
biens, et nous repartirons conquérir la Provence. Les Toulousains me l’ont
volée ! Eh bien, c’est avec leur argent que je la reprendrai.
Les sergents d’armes tiennent déjà
les émissaires au bout de leurs lances dont les pennons s’enfoncent dans
l’épaisseur des vêtements. Guy de Montfort insiste auprès de son frère pour le
convaincre de se montrer clément.
— Prenez un cinquième de leur
or. Ou même le quart. Personne ne vous en voudra. Mais ne ruinez pas la ville. Simon
le foudroie du regard.
— Mon frère, nos soldats
menacent de s’en aller s’ils ne sont pas payés. Avez-vous une seule raison de
ménager Toulouse ? Aucune.
Consuls, marchands et bourgeois sont
poussés par la garde armée vers le château Narbonnais et jetés au fond des
cachots humides et grouillants de rats.
Une heure plus tard, Foulques entre
dans la ville. Il est accompagné de l’abbé de Saint-Sernin. Les deux
ecclésiastiques, protégés par une escorte vigilante, clament leurs appels à
travers les rues pleines d’une foule inquiète. L’évêque rassure la population.
S’arrêtant sur chaque place, debout sur les étriers de sa mule, il lance des
proclamations apaisantes :
— Allez au-devant de votre
comte. Si vous l’aimez, vous serez bien traités. Il ne veut rien vous prendre.
Au contraire, il veut vous voir heureux.
L’abbé de Saint-Sernin, lorsque la
voix de Foulques faiblit, supplée son supérieur.
— L’évêque dit la vérité.
Courez accueillir Montfort. Ouvrez vos maisons à ses hommes. Vendez-leur ce
qu’ils veulent. Vous serez bien payés. Ne craignez rien. Ils sont honnêtes.
Espérant échapper aux représailles
et au pillage, beaucoup de Toulousains se dirigent vers les entrées de la ville
pour y recevoir le nouveau comte. Soudain des cris retentissent dans la
foule :
— Alerte ! Ils prennent
des otages. Si vous sortez des murs, gare à vous !
Dans une débandade générale, chacun
court rejoindre sa maison et protéger les siens. Les soldats et les mercenaires
envahissent la ville, les armes à la main. Près de Saint-Sernin, l’Anonyme a pu
trouver une chambre dont l’étroite fenêtre donne sur la rue. Il consigne par
écrit les scènes qui se déroulent sous ses yeux.
Les malfrats, par brassées,
prennent tout ce qu’ils trouvent. Les Toulousains sont traités comme juifs en
Égypte. Les femmes et les enfants pleurent sur les places. Soudain, enfle un
cri de révolte : « Aux armes ! Réveillez-vous ! Mieux vaut
mourir debout ! »
Chevaliers, miliciens, écuyers,
bourgeois surgissent de partout, poussés par la fureur.
Coiffés de fer, vêtus de cuir, armés
d’écus, de haches, de faucilles, de faux, de pieux, de massues, d’arcs,
d’arbalètes, de coutelas, les voici rassemblés.
Les femmes et les filles se joignent
à eux pour dresser des barricades. On protège les portes des maisons devant
lesquelles s’entassent buffets, coffres, échelles, tonneaux, poutres, étals de
boutiques…
L’Anonyme sort pour assister dans la
rue aux événements qu’il me rapporte.
Le combat commence, ardent et
tumultueux. La rage est à son comble. On cogne à toute force, haine au cœur,
hargne aux dents. Toulouse se défend avec tant de vaillance que les Croisés
reculent et perdent pied sous les
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