Raimond le Cathare
couronne d’Angleterre toujours menaçante et contre
laquelle mon père, mon grand-père, mon grand-oncle, mon arrière-grand-père
s’étaient tour à tour battus. Un mariage aurait mis fin à ces guerres
incessantes.
Son accompagnatrice, Bourguigne de
Lusignan, était d’une famille infiniment moins puissante, mais d’une beauté
tellement plus éclatante ! Elle était fille de Croisés établis à Chypre et
à Jérusalem. Ses fiefs étaient donc fondés sur des sables mouvants. Mais ses
manières possédaient toutes les grâces de l’Orient.
Jeanne d’Angleterre me regardait
sans cesse, mais je ne voyais que Bourguigne de Chypre, qui ne me quittait pas
des yeux. Mes cheveux avaient l’épaisseur et la couleur qu’ils ont perdues
depuis. Aucune dent ne me manquait Mon œil était vif et, tandis que ma bouche
parlait sérieusement à Jeanne d’Angleterre, mon regard disait mon amour à
Bourguigne de Chypre. Nous nous sommes rapidement mariés et passionnément aimés
dans un bonheur fugitif comme un doux rêve.
Deux ans plus tard, en 1195, mon
père mourait. Il avait régné sur le pays toulousain près d’un demi-siècle. Je
devenais comte de Toulouse à l’âge avancé de quarante ans. Mon père avait hérité
de la couronne à quatorze ans et mon grand-père, Alphonse Jourdain, quand il
avait moins de dix ans. Voilà pourquoi, dès que je fus maître du comté, on me
nomma Raimond le Vieux.
L’heure était venue de conclure des
alliances utiles à ma charge. J’ai dit adieu à ma jeunesse et à Bourguigne, qui
réjouissait mes nuits, et je me suis marié avec Jeanne pour faire la paix avec
l’Angleterre.
Notre union n’a duré que trois ans,
mais elle a porté son fruit : en 1197 un fils, Raimond, a vu le jour à
Beaucaire. La sage-femme provençale qui a sectionné le cordon tranchait aussi
le nœud d’un vieux conflit Cette naissance scellait la paix entre Toulouse et
la couronne anglaise. Ce mariage et cet avènement furent des moments de bonheur
intense dans ma vie d’homme et des actes de paix utiles à ma fonction de
prince.
Peu de temps après, j’ai cruellement
souffert de la mort de Jeanne dans les épanchements sanglants, les fièvres et
les cris d’un nouvel enfantement fatal pour la mère, et pour l’enfant une fille
baptisée à la hâte dans une projection de gouttelettes d’eau bénite sur un
minuscule fardeau de chairs rouges et bleues qui ne vivait déjà plus.
Jeanne me laissait notre fils,
Raimond de Toulouse. Il avait deux ans. Ce XIII e siècle allait
ouvrir ses portes sur des années terribles. Je sentais monter la colère de
l’Église et la vindicte du pape contre l’Hérésie dont j’étais le
« complice ».
Mon veuvage m’offrait la liberté
d’une nouvelle alliance. Il fallait cette fois choisir le royaume d’Aragon en
la personne, charmante, de la brune Éléonore, la sœur du roi Pierre II.
La jeunesse du corps et de l’esprit
de ma cinquième épouse me réjouit encore aujourd’hui. D’elle, je ne saurais
dire mieux que le poète Guillaume de Tudèle, qui écrit : « L a
meilleure des reines et la plus belle au monde. Jamais en Chrétienté ni en
terre païenne, aussi loin qu’aube point, n’en fut d’aussi parfaite . »
Et le poète, en hommage à sa beauté, s’interdit d’aller plus loin :
« Guillaume, tais-toi donc, tes vers sont trop chétifs. Crains d’abîmer
l’éclat que tu veux exalter . »
Paris, Londres, Barcelone, Rome sont
les points cardinaux de toute politique toulousaine. Face au danger qui vient
de Rome, j’ai construit ma défense : par ma mère Constance, fille de
Louis VII, je suis le cousin du roi de France, Philippe Auguste. Par ma
quatrième femme Jeanne, sœur de Richard Cœur de Lion, et notre fils Raimond,
nous appartenons à la famille d’Angleterre. Par mon dernier mariage avec
Eléonore, j’ai scellé l’union avec l’Aragon et son jeune roi flamboyant, Pierre II,
mon beau-frère et mon proche voisin d’outre-Pyrénées. Nos pères, Alphonse
d’Aragon et Raimond V de Toulouse, s’étaient disputé la Provence dans des
guerres incessantes et acharnées. En décidant de mêler nos sangs, j’ai scellé
la réconciliation et l’alliance dont j’allais avoir le plus grand besoin.
*
* *
Après avoir fait halte à Béziers,
puis à Narbonne, nous arrivons devant les murs de la plus puissante
fortification de la plaine.
C’est ici, à Carcassonne, que
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