Raimond le Cathare
réside
Raimond Roger Trencavel, vicomte de Béziers, Carcassonne, Albi et Limoux. Il
est le fils de ma sœur, mais ce neveu ne me ressemble guère.
Les cavaliers envoyés par Trencavel
pour nous faire honneur viennent caracoler autour de nous, les sabots des
chevaux résonnant sur le sol durci par le froid. Ils nous adressent des
félicitations pour l’assassinat de Pierre de Castelnau. À mi-voix, je demande
aux miens de ne pas engager de conversation sur ce sujet avec ces écervelés.
Ils sont à l’image de leur maître, mon jeune neveu : turbulents, fébriles
et inconséquents.
Raimond Roger Trencavel m’accueille
à sa table dressée dans la grande salle de la citadelle. Cet infatigable
chasseur ne m’épargne aucun de ses gibiers : viandes fraîches ou fortement
faisandées, couchées sur de la purée de châtaignes. J’ai faim et je ne cesse de
mastiquer, ce qui m’évite de répondre à ses discours imprudents. Il se réjouit
bruyamment de la mort du légat. Il m’en fait compliment. La bouche pleine, je
multiplie les signes de dénégation. À la fin du repas, je prends courtoisement
des nouvelles de Béatrix, sa sœur d’un autre lit, qui fut ma seconde épouse.
Elle vit toujours en maison hérétique dans le jeûne, l’abstinence et la prière,
depuis que je l’ai répudiée. Raimond Roger convient que ce n’est guère
compatible avec nos goûts et nos penchants, mais il salue la grandeur d’âme de
ceux qui renoncent à tout et promet qu’il s’y astreindra un jour, quand il sera
vieux. S’il y parvient…
En attendant, ce jeune homme exalté
qui n’a pas encore vingt-cinq ans veut se battre. Il est heureux du meurtre de
Pierre de Castelnau. Je lui répète que je n’y suis pour rien, mais il n’en
croit pas un mot En se levant de table, il me bourre les côtes et vient coller
son oreille à mes lèvres comme pour y recueillir une confession ou un aveu.
— Messire mon oncle, ne soyez
point modeste. La mort de ce maudit légat servira votre gloire.
Si mon neveu lui-même s’imagine que
j’ai fait tuer le légat, comment le pape lui-même en douterait-il ?
Cet agité veut à ce point la guerre
qu’il finira par la provoquer. Son pouvoir s’exerce sur un territoire
enviable : Béziers et sa cité prospère, les plaines littorales où les
vignes viennent s’aligner jusqu’au bord du rivage, l’Albigeois et la belle
allée du Tarn, la montagne des Corbières, Carcassonne et son imprenable
citadelle. Qui ne convoiterait un tel domaine ? Mon paisible voisinage lui
a fait oublier les guerres et les appétits de nos pères. Vicomte depuis neuf
ans, il n’a connu que moi. Il me juge tiède, inoffensif et ennuyeux.
En me raccompagnant dans la cour du
château, il frappe bruyamment ses mains l’une contre l’autre.
Mon cheval fait un écart
« Bientôt ! Bientôt ! » répète-t-il avec un sourire
carnassier. Comme si la guerre qui menace allait être une distrayante partie de
chasse. Juché sur ma monture, droit dans les yeux, je lui conseille gravement
de prendre garde à ce qui nous menace. Il se contente de rire.
La dernière
chance de paix
Fanjeaux, janvier 1208
Quittant Carcassonne et poursuivant
notre voyage vers Toulouse, nous passons à Montréal. Le clocher de Fanjeaux
pointe sur la colline toute proche.
J’envoie d’Alfaro et mes cavaliers.
Je voudrais parler à Dominique de Guzman, le moine prédicateur castillan. C’est
ici qu’il a établi son monastère, mais il y séjourne rarement. Toujours sur les
routes de la plaine ou les chemins de montagne, pieds nus, vêtu de bure,
totalement démuni, il prêche et mendie son pain quotidien. La nuit, il prie
plus qu’il ne dort. Dès l’aube, il reprend son œuvre.
En peu de temps, la réputation de
Dominique de Guzman s’est propagée à travers toute la région. On l’a vu marcher
des journées entières, les pieds en sang, dans la neige ou sous la brûlure du
soleil. Porté par une énergie surnaturelle, il sème infatigablement la parole
de Dieu. Mais, avant de lancer la graine de la foi, il laboure par l’exemple
qu’il donne. Comme le soc du paysan s’enfonce profondément dans la terre pour
que vienne s’y enfouir la semence, la vie de sacrifice du prédicateur ouvre les
esprits pour que ses mots y soient accueillis et que germe le Verbe. Une
légende se propage autour de lui et se répand dans tout le pays. Beaucoup de
catholiques le vénèrent déjà comme un saint.
Toulouse,
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