Raimond le Cathare
des
Pyrénées.
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Mon pays est plus vaste que bien des
royaumes. Il réunit sous mon autorité le comté de Toulouse, le Quercy,
l’Agenais, le Rouergue, la vicomté de Lodève et le comté de Melgueil, le
marquisat de Provence, la terre d’Argence. Je tiens en gage du roi d’Aragon les
vicomtes de Millau et de Grèze et le comté de Gévaudan.
Mon pouvoir s’exerce aussi sur les
terres de mes nombreux vassaux : le seigneur de Gourdon, le comte de
Rodez, les seigneurs d’Alès, d’Auduze et de Sauve, le comte de Vivarais, le
comte de Valentinois et de Diois, le vicomte d’Agde, le vicomte de Narbonne. Le
comte de Foix est également mon vassal pour la basse vallée de l’Ariège et le
comte de Comminges pour la plaine de Muret. J’ai des droits sur les comtés
d’Armagnac, Fezensac et Astarac.
À mes vassaux je dois protection, et
ils me doivent fidélité. Bien souvent, leurs mésententes dégénèrent en
violences locales que je m’efforce d’arbitrer et d’apaiser. Je n’ai cessé de
rechercher la paix sur mes terres et avec mes voisins.
Au milieu de mes immenses
territoires, seuls manquent Montpellier, passé au roi d’Aragon par son mariage
avec Marie, et la grande vicomté des ombrageux Trencavel : Béziers,
Carcassonne, Albi, comme un coin enfoncé largement et profondément dans mes
terres.
J’ai trois suzerains. Le roi de
France, Philippe Auguste, pour le comté de Toulouse ; le roi d’Angleterre,
Jean Sans Terre, pour le Quercy et l’Agenais ; l’empereur de Germanie,
Othon, pour la rive gauche du Rhône. Grâce à Dieu, leurs désaccords me
permettent de n’obéir à aucun. Je fais en sorte d’entretenir leurs querelles
afin que leurs pouvoirs s’équilibrent et se neutralisent.
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L’Histoire ne m’aimera pas, car je
n’ai jamais cherché à laisser la marque du sillon stérile de l’épée dans la
terre ensanglantée des champs de bataille.
J’ai vu mon père, Raimond V, en
guerre contre l’Aragon, contre le comte de Rodez, contre la Savoie, contre les
Trencavel, contre l’Angleterre, contre Barcelone… Ces interminables luttes,
leur cortège de deuils et de destructions ont assombri mon enfance et ma jeunesse.
J’ai préféré réparer dans mon lit,
avec des bonheurs personnels divers et inégaux, les querelles sanglantes de mes
prédécesseurs. Pour faire la paix avec les ennemis de mes ancêtres, j’ai épousé
leurs filles. Mes ancêtres ne manquaient pas d’ennemis, je me suis donc marié
cinq fois.
Ma première épouse fut Ermesinde de
Pelet, déjà veuve et très mûre mais dont la famille possédait, près de
Montpellier, le comté de Melguei toujours rebelle à la maison de Toulouse. Ce
mariage mit fin aux désaccords, mais il fut bref.
Veuf à mon tour mais encore jeune,
j’ai ensuite épousé une Trencavel pour sceller une alliance avec ces impétueux
voisins qui gouvernent de Limoux à Albi et de Carcassonne à Béziers. Avec
Béatrix, ce fut une longue et morne union. Ma vie familiale durant ces quinze
années n’a été ensoleillée que par la naissance de ma fille légitime Constance
et par celle de mes enfants naturels, Guillemette et Bertrand, ainsi que par le
plaisir d’avoir aimé secrètement la femme qui a donné le jour à ces derniers.
Béatrix, elle, s’est éprise de
l’Hérésie. Voulait-elle ainsi réprouver silencieusement mon inconduite ?
Était-elle sincèrement gagnée à cette pratique austère et à cette vie hautement
spirituelle, comme beaucoup de femmes en notre pays ? Quelle fut l’influence
de sa famille Trencavel, dont les liens avec l’Hérésie n’étaient un secret pour
personne ? L’Église ne pouvant, dans ce cas, rien me reprocher, j’ai
profité de cette occasion pour répudier Béatrix. Elle vit depuis dans une
maison de Bonnes Dames. Nous nous écrivons parfois.
C’est par amour que j’ai épousé ma
troisième femme, l’adorable Bourguigne de Chypre. Ce fut une étrange rencontre…
Allant de Marseille à Poitiers, Bourguigne traversait notre pays, dans la suite
de l’épouse de Richard Cœur de Lion et de sa sœur, Jeanne d’Angleterre. Pour
leur faire honneur, mon père Raimond V m’avait envoyé à leur rencontre
afin de les accompagner sur nos terres en grand cortège. Le voyage a duré
plusieurs jours qui me parurent délicieux. Jeanne d’Angleterre était
intelligente et Bourguigne ravissante.
Jeanne, la sœur de Richard Cœur de
Lion, représentait cette
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