Raimond le Cathare
sommes entrés dans la ville à l’insu de ses occupants. C’est ma
première action d’éclat depuis le début de la guerre. Elle est tardive ;
Dieu veuille qu’elle soit décisive. À une heure aussi matinale, seuls quelques
passants sont dehors. Ils ne prêtent pas attention au groupe de cavaliers qui
s’avancent vers l’église Saint-Pierre-des-Cuisines. Dans la lumière incertaine
de l’aube, sans doute nous prennent-ils pour des chevaliers croisés. C’est
alors qu’Aymeri de Castelnau déploie l’étendard sang et or frappé de la croix
aux douze boules. Nos compagnons font de même avec les couleurs de Foix et de
Comminges. Il n’en faut pas plus pour que fusent les premiers cris :
— Le comte Raimond est de
retour !
— Miracle ! Nous sommes sauvés !
Les têtes apparaissent aux fenêtres
et les gens sortent sur le seuil des maisons. Ils sont incrédules, mais
lorsqu’ils s’approchent et nous reconnaissent, ils font éclater leur joie.
— C’est vrai ! C’est lui.
C’est notre comte Raimond !
— Dieu soit loué !
Nous sommes cernés par une foule
enthousiaste, les mains se tendent, certains pleurent de joie, on accourt de
toutes les ruelles. La rumeur se propage dans le Bourg et gagne la Cité.
Toulouse est réveillée par un bonheur qu’elle n’espérait plus.
Son soulèvement est allègre mais
impitoyable. Armés de poignards, de pierres et de bâtons, des centaines
d’hommes se lancent à la poursuite des soldats français qui courent vers le
château Narbonnais. Ceux qui sont rattrapés sont sauvagement tués par la foule
dans des hurlements de haine. Les rescapés s’enferment dans le château. À la
fenêtre du dernier étage, on peut apercevoir le nez pointu d’Alix de Montfort.
Elle est frappée de stupeur en voyant le peuple envahir les rues et les places
pour y dresser les premières barricades. Les flèches des archers postés sur le
chemin de ronde tiennent à distance les Toulousains, mais dans les éboulis des
remparts démantelés ils s’emparent des briques, des pierres, des poutres, des
battants de portes pour ériger une enceinte autour du château. La famille de
l’usurpateur et la garnison seront bientôt assiégées. La porte s’entrouvre un
instant pour laisser sortir deux cavaliers qui lancent leurs montures au galop.
Ils vont donner l’alerte à Carcassonne, où se trouve Guy de Montfort avant de
chevaucher vers la Provence pour porter à Simon la lettre que leur a confiée
Alix.
Vallée de la Drôme, septembre
1217
L’usurpateur vient d’obtenir le
mariage de sa fille Amicie avec le fils du comte de Valentinois. La fillette
qui était destinée à Jacques d’Aragon pour sceller l’entente entre Montfort et
Pierre II sert aujourd’hui une autre politique. Son père l’utilise pour
étendre son pouvoir à l’est du Rhône, sur les Alpes, comme il l’a fait dans les
Pyrénées en obligeant Pétronille à épouser son fils « Guiot ».
Grisé par l’immensité de son
domaine, Montfort est loin de penser qu’au même moment, au cœur de ses
possessions, Toulouse se révolte.
Le visage de l’homme que l’on
introduit sous sa tente dissipe ses illusions. Le messager est défait. Ses
traits sont marqués non seulement par la fatigue de la course mais aussi par la
peur. Ne sachant comment annoncer le désastre, il tombe à genoux devant son
seigneur et lui tend la lettre écrite par Alix. Avant de la décacheter,
Montfort interroge l’homme venu de Toulouse.
— Me portes-tu bonne ou
mauvaise nouvelle ?
— Mauvaise. Pardonnez-moi.
— Aurais-je perdu la
ville ?
— Je le crains. Notre dernier
espoir est que vous accouriez.
— Qui m’a pris Toulouse ?
— Seigneur, vous le savez.
Faut-il le nommer ?
Le messager hésite un instant avant
de poursuivre.
— Oui, j’ai vu leur comte
entrer dans la cité, accueilli par tous les habitants. Ils ont massacré les
chevaliers français qu’ils ont pu débusquer.
— Que fait le peuple ?
— Il travaille contre nous,
seigneur. Il creuse des fossés et dresse des palissades autour du château
Narbonnais pour l’assiéger.
— Où sont ma femme et mes
enfants ?
— Ils sont au château et la
comtesse a grand peur.
Montfort brise le cachet de cire et
déplie la lettre. Le texte est bref. Dans la précipitation, Alix n’a eu que le
temps d’écrire deux phrases : « Toulouse, votre femme et vos fils
sont en danger. Si vous tarder un seul
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