Raimond le Cathare
les écrasez pas de charges nouvelles.
Croyez-moi, c’est ainsi qu’il faut prendre Toulouse.
Alain de Roucy est du même
avis :
— Suivez son conseil et vous
régnerez juste. Ils vous en sauront gré. Mais si vous les pillez, vous y
perdrez la peau.
À son tour, Foucaud de Berzy
recommande la miséricorde :
— Nous allons savoir si vous
êtes un sage ou un écervelé. Si vous brisez Toulouse, dites adieu à l’honneur
et au ciel !
— Sottises ! s’écrie
Lucas, le plus vindicatif des conseillers de l’usurpateur. Ne croyez pas ces
gens. Ils vous trompent.
Simon de Montfort encourage son
compagnon à poursuivre :
— Vous avez ma confiance,
Lucas. Vous jugez sainement Que faut-il faire ?
— Brisez les Toulousains et
votre nom grandira. Élevez-les et nous tomberons. Vous avez tué leurs parents
ou leurs fils. Ils vous détestent. Ils veulent Raimond et vous n’y pouvez rien.
Vous ne tiendrez durablement Toulouse qu’en muselière et couchée à vos pieds.
Foulques, à la demande de Montfort,
présente ses propositions.
— Si vous voulez prendre en
pogne ces gens-là, faites démanteler les remparts, faites saisir les armes et
les armures, punissez de mort quiconque en cacherait. Expédiez les otages dans
vos tentes les plus lointaines. Vous pourrez vider leurs coffres et grâce à
leur fortune repartir en guerre pour reprendre Beaucaire et la Provence.
Foulques évoque Beaucaire pour
soulever la colère de Simon de Montfort. La blessure infligée par Raimond le
Jeune saigne encore.
— Les Provençaux paieront cher
l’affront qu’ils m’ont fait !
Montfort se lève et frappe la table
du plat de sa main.
— L’évêque et Lucas ont raison.
Je ferai de Toulouse une ruine fumante.
*
* *
Le lendemain matin, Simon de
Montfort fait lire une proclamation dans les rues et sur les places de la
ville. Les lecteurs juchés sur des tabourets sont protégés par une nombreuse
escorte. Les soldats pointent leurs armes en direction de la foule immobile et
silencieuse.
— Toulousains ! Voici ce
qu’ordonne le comte Simon de Montfort. L’accord que vous avez conclu avec
l’évêque est nul et non avenu. Il est inutile d’appeler Dieu ou son clergé à
votre secours. Vous devez allégeance à Montfort et à lui seul. Ou vous vous
soumettez, ou vous serez bannis simplement munis d’un sauf-conduit.
La foule, terrifiée par les lances
et les épées qui la tiennent en respect, n’ose pas manifester sa colère.
Soudain un homme s’avance en jouant des coudes pour parvenir au premier rang.
Les poings sur les hanches, il défie du regard l’envoyé de Montfort et lui
lance :
— Moi, je m’en vais.
J’abandonne mes biens. Je ne veux que mon sauf-conduit.
— Attends un instant, il
arrive !
Aussitôt quatre sergents s’emparent
de lui, le saisissent par la nuque, enchaînent ses pieds et ses poings pour le
traîner vers la prison.
Pendant ce temps, des groupes de
soldats envahissent les rues et brisent à coups de pied ou de madrier les
portes des maisons. Ils les fouillent pour confisquer les armes, s’emparant au
passage de ce qui leur plaît. Au son des trompes on pousse la population vers
les portes de la ville. Femmes, enfants, chevaliers désarmés, marchands sont
conduits comme un troupeau à coups de bâton. Les sergents les insultent et leur
crachent dessus.
Les nobles, les riches et les
notables sont exilés vers de lointains châteaux où ils seront tenus
prisonniers. Le reste de la population est conduit sur les remparts et dans les
fossés avec ordre de travailler, cette fois avec vigueur, au démantèlement des
ouvrages de défense.
L’Anonyme a été incorporé dans un
groupe de démolisseurs. Tout en maniant son pic, il observe ce chantier du
désespoir pour le décrire dans la chronique qu’il me destine.
Pelles, fourches, coins, pics,
pioches, marteaux d’enclume,
Tout est bon pour jeter les
remparts aux fossés.
Simon veut la cité toute nue,
sans défense,
Ouverte aux grands chemins,
offerte à tous les vents.
Des malfrats cuirassés aboient
partout ses ordres,
Sous les coups des béliers
s’effondrent les étages,
Et le plafond des salles, et les
tours crénelées,
Les hautes chambres peintes, et
les toits des boutiques
Les galeries voûtées, les
piliers, les portails.
Dans la ville meurtrie retentit
le vacarme,
Sous l’air obscurci, dans le
fracas des pierres,
La poussière, le vent, les
trouées de soleil,
Les hommes
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