Refus de témoigner
mes défauts, et
il m’énuméra ce que j’aurais à confesser : vanité, orgueil, absence de
respect. Ils étaient la raison de mon manque de contacts, qui engendrait à son
tour l’angoisse, par exemple celle des examens.
Je ne me reconnaissais pas dans ce diagnostic, je m’efforçais
pourtant pendant des jours de m’y reconnaître. Plus je réfléchissais, plus j’étais
troublée. Peut-être avait-il raison d’une certaine façon et je ne le comprenais
pas. À la séance suivante, j’expliquai pourquoi on pouvait me croire
orgueilleuse alors que je ne l’étais pas. Je m’acharnais à expliquer que j’avais
des difficultés avec ma mère. Il se fâcha, je sentais au fond de la gorge l’angoisse
de ne plus pouvoir en définitive me fier à moi-même. Je me tus et le laissai me
sermonner.
« Vous avez vu de quoi vous avez l’air ? »
dit-il brusquement. « Regardez-vous un peu », il montrait une glace. Je
m’y regardai, docilement, sincèrement stupéfaite. Je portais encore mon manteau
allemand, il n’était certes pas très à la mode, mais on n’achète pas un manteau
neuf quand on en a encore un qui est portable. J’étais un peu décoiffée, certes,
mais il faisait du vent dehors, ça suffisait à mettre les cheveux en désordre. Cette
maison, fit-il observer d’un ton sévère, est fréquentée par des dames de la
meilleure société, qu’allaient-elles penser ? À cette heure du jour, il n’y
avait personne, me dis-je en silence. M’avait-il précisément fixé une heure si
tardive parce qu’il avait honte pour moi ? Ma négligence vestimentaire était
un signe de mépris de l’entourage. L’ignorance et la pauvreté, il n’en tenait
aucun compte !
Je sortais de son cabinet blessée et humiliée, ravalant mes
larmes. « Pourquoi pleurez-vous ? » me demanda-l-il avec ce que
je crus interpréter comme un air de triomphe. Si je me donnais la peine de ne
pas montrer mon chagrin, il n’avait pas à m’interroger là-dessus, me dis-je, et
je niais mes larmes. Sur le chemin du retour, je lui concédais par la pensée qu’il
voulait certes m’améliorer, faire de moi un être meilleur, mais non pas m’aider
à mieux m’en tirer à New York.
Il m’avait priée de ne pas revenir sans quelque chose sur la
tête. Un chapeau me semblait (et me semble toujours) l’accessoire le moins
utile dont on pût s’affubler, sauf quand il fait froid. En l’occurrence il n’était
pas question de la température, mais de la civilisation, représentée en la
circonstance par la mode. J’achetai le couvre-chef le moins cher que je trouvai,
un bonnet (il était bleu ciel ou rose) chez Woolworth pour quatre-vingts cents ;
j’estimais que même ça c’était du gaspillage, je mis le bonnet et je retournai
chez lui.
« Qu’est-ce que la conscience ? » lui ai-je
demandé, car je voulais lui dire que les morts me posaient problème, parce que
j’étais en vie. Mais je ne voulais pas l’avouer directement, parce que ça
faisait grandiloquent, et qu’il ne me croirait pas, s’il me jugeait tellement
égoïste. Au début, j’aurais bien aimé lui montrer mes poèmes. Ils contenaient
les mots que j’avais trouvés pour ça, et il ne m’en a pas fourni de meilleurs. Pas
même la formule de travail du deuil. Il n’a été question des camps qu’une seule
fois, comme si moi je n’y avais jamais été, uniquement ma mère. Il ne m’a jamais
apporté de réponse à ma question. (Tu vois.)
Je n’avais qu’une idée, échapper à ces entretiens qui m’anéantissaient.
Il détruit ce qui en moi dit « je ». Je commençai à me montrer
extrêmement prudente dans le choix de ce que je lui livrais ou passais sous
silence. Et il s’impatientait de ma réserve. Il me dit que je lui faisais
perdre un temps précieux, dix dollars la séance qu’il m’accordait gratis. Il se
passa alors deux choses : premièrement je ne crus pas la somme qu’il m’indiquait.
Il ment, pensai-je tout simplement. Il ne peut quand même pas gagner en quatre
heures la même chose que ma mère en une semaine. Deuxièmement ces pénibles
séances se révélaient une sorte d’aumône, chiffrable en dollars ; or on n’est
jamais forcé d’accepter une aumône.
J’aurais dû appeler pour qu’il me donne un nouveau
rendez-vous, je m’abstins de le faire. Le téléphone sonne, c’est à nouveau lui,
que peut-il encore vouloir, savoir pourquoi je ne viens plus, il insiste pour
que je lui assure
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